L’ex-premier ministre Brian Mulroney y est allé d’une nouvelle sortie contre la gestion de l’offre. On peut se demander pour qui M. Mulroney travaille.
Une telle sortie à ce moment-ci ne peut que nuire aux négociateurs canadiens qui tentent de renouveler l’ALENA dans un contexte déjà très difficile. M. Mulroney suggère de compenser les producteurs agricoles sous gestion de l’offre et, pour lui, le dossier serait clos. Ce n’est pourtant pas ce qu’il a fait en 1992 et il sait très bien pourquoi. Le Canada a beaucoup plus à perdre en abandonnant la gestion de l’offre, d’autant plus que ses références à l’Australie et à la Nouvelle-Zélande sont erronées.
Le premier ministre Trudeau a tout à fait raison de se tenir debout pour défendre un pan important de la politique agricole canadienne : la gestion de l’offre.
La production laitière canadienne génère plus de 221 000 emplois et contribue à la hauteur de 19,9 milliards au PIB. Au Québec, les 6513 fermes familiales des productions sous gestion de l’offre génèrent 116 000 emplois et sont à la source de 8,7 milliards en contributions au PIB et de 2,1 milliards en retombées fiscales. Elles jouent un rôle déterminant dans l’occupation du territoire de nos régions.
Selon une récente étude de PwC, 58 000 des 80 000 emplois seraient menacés dans le secteur avicole seulement advenant la fin de la gestion de l’offre. Une autre étude, celle du Boston Consulting Group, indiquait que la survie de plus de la moitié des exploitations laitières au pays serait compromise.
MAUVAIS EXEMPLES
M. Mulroney prend pour modèle les productions laitières néo-zélandaise et australienne. Dans ces deux pays, la déréglementation a entraîné des baisses importantes du prix du lait à la ferme qui n’ont aucunement profité aux consommateurs.
Plus concrètement, depuis la déréglementation du secteur laitier en Australie en 2000, 55 % des fermes laitières ont disparu et la valeur de leurs exportations a chuté de 23 %. Le prix du lait aux producteurs a chuté de 14 % durant cette période alors que celui au détail a grimpé de 31 %. Une récente étude d’Export Action Global démontre que les Canadiens paient leur lait moins cher que les consommateurs de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Il est en moyenne à 1,48 $ le litre au Canada contre 1,68 $ le litre en Nouvelle-Zélande, le pays où le prix du lait à la ferme est le plus bas au monde.
EUROPE ET ÉTATS-UNIS
L’Europe a aboli son système de quota en 2015 et la surproduction qui en a résulté a poussé à la faillite un nombre important de fermes tout en contribuant à saturer le marché mondial en ingrédients laitiers. Les généreuses subventions de la Politique agricole commune ne suffisent pas à maintenir les producteurs de lait à flot. En France, détresse et suicides chez les producteurs sont les résultats de cette politique. La même situation prévaut aux États-Unis qui croulent sous les surplus de lait. Les fermes moyennes américaines qui ont entre 300 et 500 vaches n’arrivent plus à joindre les deux bouts. À noter que la ferme moyenne, au Québec, a 65 vaches !
La gestion de l’offre permet aux producteurs canadiens de lait, d’œufs et de volaille de tirer un revenu équitable entièrement du marché, sans subventions directes.
Par leur discipline, les producteurs sous gestion de l’offre s’emploient à satisfaire le marché intérieur avec une production locale de grande qualité. Ils ne contribuent pas à la surproduction sur le marché mondial. La gestion de l’offre est un modèle économique et écologique qui offre stabilité aux producteurs et aux consommateurs.
LE FARM BILL AMÉRICAIN
La gestion de l’offre est certainement aussi légitime que les milliards de dollars du Farm Bill qui subventionnent les agriculteurs américains. M. Trump vient d’ailleurs d’annoncer 12 milliards supplémentaires pour les producteurs de céréales qui seront touchés par les tarifs appliqués par la Chine sur le soya et le maïs américains. Sachez que le Farm Bill et ses milliards ne sont pas sur la table de négociation et que les États-Unis ne concéderont rien sur leur politique de soutien agricole dans la renégociation de l’ALENA.
Quel est l’avenir pour les producteurs canadiens si l’on abandonne la gestion de l’offre, alors que les Américains continueraient de bénéficier du soutien et des milliards de leur Farm Bill ? C’est pourtant ce que propose M. Mulroney !
Les Canadiens, eux, ont compris l’importance de la gestion de l’offre. Un sondage Ipsos rendu public le 3 mai dernier rapporte que 75 % des Canadiens (et 79 % des Québécois) considèrent que le secteur laitier canadien devrait être défendu dans les renégociations de l’ALENA. De plus, 60 % des Canadiens déclarent que la mesure dans laquelle Ottawa défendra les intérêts de ce secteur aura une incidence sur leur vote lors des prochaines élections.
Les sorties de Brian Mulroney sont nuisibles à la défense des intérêts du Canada dans cette négociation.
Même les organisations agricoles américaines que sont le Farm Bureau et le National Farmers Union n’exigent pas l’abolition de la gestion de l’offre. Ils militent plutôt en faveur du maintien de l’ALENA dans sa forme actuelle pour le domaine agricole.
Difficile de définir au nom de quels intérêts agit M. Mulroney avec ces sorties. Mais elles ne sont pas d’ordre à aider la ministre Chrystia Freeland et les négociateurs canadiens qui ont fait un travail remarquable jusqu’à maintenant.
Bruno Letendre, président des Producteurs de lait du Québec
Pierre-Luc Leblanc, président des Éleveurs de volailles du Québec
Paulin Bouchard, président de la Fédération des producteurs d’œufs du Québec
Gyslain Loyer, président des Producteurs d’œufs d’incubation du Québec