Au moment d’écrire ces lignes, les résultats de la 59e élection présidentielle américaine n’étaient pas encore connus, mais tout indiquait que le candidat démocrate Joe Biden allait l’emporter. Si cela se concrétise, plusieurs d’entre nous pousseront un soupir de soulagement. Encore une fois, les sondeurs ont eu de la difficulté à prévoir l’issue de cette élection. On anticipait une vague démocrate, mais Donald Trump aura encore une fois fait mentir les sondages.
La politique américaine est très différente de la nôtre. Premièrement, elle est systématiquement bipartite; on est démocrate ou républicain. Deuxièmement, la grande majorité des Américains redoutent l’intervention de l’État et son intrusion dans leur vie. Troisièmement, la religion y joue un grand rôle. Ces trois éléments expliquent en grande partie pourquoi tant d’électeurs américains se rangent malgré tout derrière un candidat comme Trump. Qu’on aime ou non le personnage, il est un communicateur et un manipulateur hors pair, sans aucun scrupule, capable de mobiliser en stimulant la haine à l’endroit de ses ennemis, c’est-à-dire tous ceux qui ne l’appuient pas. Tous ceux qu’il peut stigmatiser pour alimenter la hargne et nourrir sa base sont ses ennemis : les médias, les progressistes, le Canada et le Mexique avec l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), l’Europe et son ouverture aux réfugiés, la Chine et son virus. Trump ne peut et ne sait agir que dans cet environnement qu’il cultive. C’est ce que nous ont démontré les quatre dernières années de sa présidence.
Un retour des démocrates à la Maison-Blanche peut laisser présager des échanges plus harmonieux et respectueux. Mais les États-Unis vont demeurer un pays enclin au protectionnisme, en même temps qu’ils appliquent une stratégie très agressive sur les marchés étrangers. Chez nos voisins du Sud, la production agricole est une question de sécurité nationale. Cela va donc bien au-delà du concept d’autonomie alimentaire. Que ce soit sous les démocrates ou les républicains, le Farm Bill est toujours reconduit aux cinq ans en maintenant les soutiens à l’agriculture et aux pratiques environnementales.
Pendant que le Canada se retire de la gestion des risques en agriculture et qu’il est absent du secteur agroenvironnemental, le gouvernement américain n’a jamais été aussi présent. Les producteurs américains ont reçu 28 G$ pour pallier le conflit avec la Chine et 19 G$ supplémentaires en marge de la pandémie. Pas surprenant que les agriculteurs étaient très majoritairement derrière Trump lors de la dernière élection.
Le retour possible des États-Unis dans l’Accord de Paris, si Joe Biden est élu, est une bonne nouvelle. Cet accord va continuer d’évoluer et la présence des Américains dans les accords internationaux est essentielle. On parle aussi d’un retour possible des États-Unis dans le Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP). Ce serait aussi une bonne nouvelle, mais cela entraînerait probablement la renégociation des accès aux marchés canadiens sous gestion de l’offre. Si les États-Unis adhéraient à nouveau au PTPGP, l’accès américain à ces marchés passerait presque du simple au double, car ils seront à même, en raison de leur proximité, d’utiliser 100 % des concessions offertes par le Canada dans cette entente, ce qui s’ajouterait aux nouvelles concessions du Canada dans l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM).
Mais au-delà de tous ces enjeux, les quatre dernières années ont démontré plus que jamais à quel point la population américaine est divisée. L’écart de richesse entre les mieux nantis et ceux qui le sont moins ainsi que les tensions raciales exacerbent ce climat malsain qui alimente la peur des uns envers les autres. Joe Biden ne pourra pas changer ce portrait en un claquement de doigts s’il est élu. Mais à la différence de Donald Trump, il ne nourrira pas cette tension à des fins personnelles et populistes. Et si Trump sort vainqueur, on oublie tout ce que j’ai écrit et l’on espère que les dommages seront réversibles.