Le 29 mai dernier se tenait le forum de la Table de concertation régionale du lac Saint-Pierre. Environ 75 personnes des secteurs forestiers, municipaux, agricoles, ministériels, des comités de bassin versant de même que des chercheurs prenaient part à cet événement. La cohabitation des usages dans le littoral du lac en était la principale thématique.
Qu’entend-on par le littoral du Lac Saint-Pierre?
Il s’agit de sa zone inondée en moyenne une fois tous les deux ans. Dans cette superficie, il y a environ 200 entreprises agricoles qui cultivent 5 000 ha, répartis en Montérégie, au Centre-du-Québec, dans Lanaudière et en Mauricie (environ 1000 ha).
Il était un petit navire qui naviguait…
À l’origine, le lac Saint-Pierre était peu profond et relativement plat. Toutefois, dès 1844, on creusa une tranchée artificielle, aux dimensions croissantes avec les années, et on déposa massivement les résidus de dragage le long de celle-ci. Aujourd’hui, un imposant chenal de navigation d’une profondeur de plus de 11,3 m, d’une largeur minimale de 230 m le traverse. Il y transite environ 4000 navires commerciaux par année. Une conséquence majeure de ce creusage est l’augmentation de la vitesse de l’eau dans la partie centrale et la réduction significative de cette vitesse dans le littoral. Les eaux quasi stagnantes du littoral provoquent un confinement hydrodynamique de la pollution agricole. Dit autrement, quand les cours d’eau (rivières du Loup, Maskinongé, Yamachiche…) arrivent au lac Saint-Pierre, au lieu de profiter d’une immense masse d’eau pour s’y diluer rapidement, ils s’y écoulent lentement et les polluants, les sédiments s’y concentrent davantage.
Encore les changements climatiques…
Les eaux du littoral peu profondes s’écoulant lentement se réchauffent plus rapidement, phénomène amplifié par les dérèglements climatiques. Une eau plus chaude s’appauvrit en oxygène, essentiel aux poissons, mais aussi indispensable à plusieurs micro-organismes, algues marines et plantes aquatiques (roseaux, salicaires...). Et surprise, un tel milieu faible en oxygène, riche en phosphore est un habitat idéal pour les … cyanobactéries! Le lac Saint-Pierre est le plus grand réservoir de cyanobactéries du Québec.
Eaux usées de trois millions d’habitants…
Pour la seule île de Montréal, il y a, certaines années, plus de 1 000 débordements des stations d’épuration dus aux pluies diluviennes ponctuelles (oui, les dérèglements climatiques…). Ces débordements nommés surverse sont «tolérés» par le MDDELCC This link will open in a new windowet représentent des millions de litres d’eau non traités, chargés en phosphore, qui descendent vers le lac Saint-Pierre… De plus, bien qu’un procédé soit utilisé pour retirer le phosphore de l’eau, la station d’épuration de Montréal rejette 1,3 tonnes de phosphore dans l’eau chaque jour.
En agriculture : trois lignes de défense
Concernant l’agriculture, un fait demeure: le lac Saint-Pierre sert de récepteur final pour l'égouttement de milliers d'hectares en culture. En Mauricie, des tributaires du lac transportent des sédiments, fines particules de sol, entraînant avec eux phosphates, pesticides et nitrates. La mauvaise qualité de cette eau est un des facteurs aggravants de la dégradation du lac. Les producteurs agricoles, le MAPAQ et les clubs-conseils en agroenvironnement sont mobilisés autour de trois lignes de défense :
- Réduire à la source: les fumiers solides ou liquides sont entreposés dans des fosses étanches depuis une quinzaine d’années, des plans de fertilisation champs par champs sont exigés et produits par des agronomes, lesrations alimentaires sont moins riches en phosphore, la phytase est ajoutée dans les moulées…
- Déployer les pratiques de conservation des sols : semi-direct,implantation des engrais verts intercalaires ou en post-récolte des céréales, semis du blé d’automne, réduction des superficies labourées, recours aux outils de travail minimum du sol; tout pour que le sol reste aux champs.
- Protéger les abords des cours d’eau : aménagement de bandes riveraines, de voies d’eau engazonnées, de haies brise-vent…
Ces derniers 20 ans, il y a eu beaucoup d’efforts de réduction des sources de pollution ponctuelle et diffuse. Tout n’est pas noir, mais la situation demeure préoccupante.
Un Plan C
La restauration de la santé de cette mer intérieure constitue un défi exceptionnel qui exigera des actions à la mesure de ce défi, intégrant les problématiques fauniques, hydriques et humaines. Toutefois, on ne refera pas le chemin du point B (situation actuelle) au point A (situation d’il y a 50 ou 75 ans…). Il faut définir un point C, comme dans cohabitation, comme dans habiter ensemble en coopérant pour inverser les tendances actuelles. Les scénarios, parfois avancés, de bannir l’agriculture sur des centaines voire des milliers d’hectares, ne tiennent pas la route. Les hommes et les femmes qui font l’agriculture comprennent qu’ils ont une contribution majeure pour contrer ces cycles de dégradation, mais constatent aussi que l’agriculture n’est pas seule en cause. Les portes grandes ouvertes aux passages des superpétroliers, la persistance de la pollution ponctuelle massive des centres urbains et la maigreur des fonds dédiés à la recherche et développement en témoignent.
Après plus d’un siècle de détérioration, vitement que nous puissions passer à l’an 1 de la restauration de cette Réserve mondiale de la Biosphère This link will open in a new window. Le lac Saint-Pierre génère beaucoup de fierté régionale depuis qu’il a été coiffé de ce titre en 2001. Force est de constater que,parfois, il porte bien mal le qualificatif de joyau patrimonial que nous lui accolons souvent. Collectivement, en serons-nous à la hauteur?
Ce texte est inspiré directement des conférences et des informations This link will open in a new window livrées par plusieurs personnes de tous les milieux lors de cette journée organisée par l’organisme Zip du Lac St-Pierre et par la Table de Concertation Régionale du Lac St-Pierre.