Le gouvernement du Québec a annoncé, dans son discours sur le budget 2024-2025, un manque à gagner de 11 G$. Ce déficit record (presque quatre fois plus élevé que prévu) est conséquent avec les mises en garde des dernières semaines, tant du côté du ministre des Finances, Eric Girard, que de celui du premier ministre, François Legault. Ce « défi de rigueur » ne justifie toutefois pas l’absence complète de mesures pour venir en aide aux milliers d’entreprises agricoles en difficulté.
Ces deux dernières années, nous avons démontré à maintes reprises que l’agriculture québécoise est plus touchée que d’autres secteurs par l’inflation, l’endettement et la flambée des taux d’intérêt. Nous avons aussi alerté les décideurs quant à l’urgence d’intervenir rapidement, les ajustements aux programmes existants et les diverses mesures dites « d’urgence » s’avérant une réponse imparfaite et incomplète compte tenu de l’ampleur des besoins.
Passer outre les attentes légitimes d’un secteur qui a démontré à maintes reprises son engagement et sa résilience est d’autant plus mal avisé que plusieurs y verront une indifférence flagrante quant aux problématiques vécues sur le terrain. La déception et la frustration qui en résultent ont toutes les chances d’alimenter le mécontentement déjà bien tangible dans plusieurs régions. Les récentes manifestations à Rimouski, à La Malbaie et à Baie-Comeau n’en sont qu’un avant-goût, et les autorités gouvernementales concernées auraient tort de sous-estimer le désarroi exprimé par les participants ou de croire qu’il n’est pas partagé par des milliers de productrices et producteurs partout sur le territoire.
Il est toutefois encore temps de rectifier le tir. À l’instar de ses réalisations en matière d’autonomie alimentaire, d’agriculture durable et de rétribution des pratiques agroenvironnementales, le gouvernement québécois doit intervenir de façon tout aussi inspirée face à l’endettement croissant des entreprises, à l’inefficacité des programmes de gestion des risques, au soutien insuffisant à la relève, à la surenchère réglementaire et au fardeau administratif.
Les 50 M$ sur cinq ans annoncés pour bonifier le Programme Investissement Croissance Durable de La Financière agricole du Québec (FADQ) serviront possiblement à bonifier la mesure d’aide d’urgence pour les entreprises agricoles instaurée l’an dernier (garantie de prêt de fonds de roulement), mais le discours sur le budget ne le précise pas. Cela dit, les deux paliers de gouvernement pourraient alléger, à très court terme, la précarité financière de plusieurs entreprises en bonifiant les protections existantes contre la hausse des taux d’intérêt (comme celles disponibles à la FADQ). Les autres 50 M$ annoncés pour l’acquisition de terres pour la relève agricole pourraient quant à eux contribuer aux activités de la Fiducie agricole UPA-Fondaction, qui fait de plus en plus ses preuves sur le terrain.
Mentionnons par ailleurs que « l’examen complet des dépenses fiscales et budgétaires du gouvernement », annoncé par le ministre Girard pour revenir à l’équilibre budgétaire, n’est pas passé inaperçu. Le milieu agricole garde un très mauvais souvenir de la Commission de révision permanente des programmes (Commission Robillard), créée en 2014 pour les mêmes raisons. Pilotée par des intervenants sans connaissances particulières du milieu et préconisant une approche strictement comptable, cette dernière a recommandé, dès son premier rapport, de mettre fin au Programme d’assurance stabilisation des revenus agricoles, qualifié de « trop généreux ».
Dénoncée de toutes parts, cette recommandation n’a finalement pas été retenue. Mais il est clair que l’exercice envisagé par M. Girard devra impérativement jeter son dévolu sur un autre secteur d’activité. Des recommandations de même nature, au moment où un nombre substantiel d’entreprises agricoles remettent en question leur avenir, seraient perçues comme de la pure provocation. Il n’y a pas d’autres mots pour le dire.
Du côté forestier, le gouvernement du Québec prévoit injecter 147 M$ sur cinq ans pour soutenir les investissements sylvicoles en forêt privée et, incidemment, y accroître l’approvisionnement en bois. C’est donc dire que lorsqu’on veut, on peut. Au chapitre de l’agriculture, le gouvernement doit tout mettre en œuvre pour que nos entreprises puissent continuer de nourrir sainement les Québécoises et Québécois tout en participant activement au développement économique de nos régions. Cet objectif prioritaire suppose beaucoup plus que 0,95 % du budget de l’État (2024-2025). Il faut investir, et ce, plus tôt que tard.