What does Trump want? Voilà une question qui préoccupe bien des gens, journalistes, politiciens et observateurs de la scène politique depuis 16 mois. L’imprévisibilité du 45e président des États-Unis est déstabilisante à bien des égards. Elle a même motivé cette question posée au premier ministre canadien Justin Trudeau, le 3 juin dernier à l’émission américaine Meet the Press : « Comprenez-vous ce que les États-Unis cherchent dans cette renégociation de l’ALENA? »
M. Trudeau a répondu que le gouvernement américain souhaitait un meilleur accord pour son secteur automobile avec le Mexique ainsi qu’un plus grand accès au marché agricole canadien, notamment pour ses produits laitiers. Il a ajouté que le Canada était prêt à « une plus grande flexibilité » pour conclure cette renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA). Même si son cabinet insiste pour dire que la réponse du premier ministre se voulait générale et ne concernait pas spécifiquement le secteur laitier, sa déclaration a soulevé beaucoup de préoccupations, car elle détonne des engagements pris et répétés sur le sujet depuis le début de cette négociation.
La position défendue jusqu’à maintenant par le gouvernement canadien était ferme et sans ambiguïté. Par ailleurs, les producteurs sous gestion de l’offre n’ont pas à faire les frais de chaque négociation commerciale canadienne, comme cela a été le cas dans le cadre de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne ainsi que le Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP).
En réalité, le premier ministre Trudeau aurait pu répondre à l’animateur de Meet the Press qu’il est difficile de négocier avec un partenaire qui ne croit pas aux accords multilatéraux et qui favorise les tensions commerciales en menaçant d’imposer des tarifs arbitraires et sans fondements.
Fidèle à ses engagements lors des élections présidentielles et dès son arrivée à la Maison-Blanche, M. Trump s’est retiré du PTP (version précédente du PTPGP). Il préfère les accords bilatéraux dans lesquels il peut plus facilement imposer ses conditions. Il l’a encore fait récemment en proposant des accords commerciaux bilatéraux distincts avec le Canada et le Mexique, plutôt que de continuer de renégocier l’ALENA. Larry Kudlow, directeur du Conseil économique national de la Maison-Blanche, disait du président qu’il « déteste les traités multilatéraux ».
Aux nombreuses critiques de M. Trump à l’endroit de l’ALENA s’ajoutent les demandes déraisonnables de son administration depuis le début de la renégociation : fin de la gestion de l’offre, clause crépusculaire, élimination des chapitres portant sur les règlements des différends et règles d’origine dans le secteur automobile. Ces exigences américaines sont taillées sur mesure pour faire dérailler la négociation.
Pour des raisons de sécurité nationale, ce qui est totalement absurde, les États-Unis imposent depuis le 1er juin au Canada, au Mexique et à l’Europe des tarifs sur l’acier et l’aluminium. À leur tour, le Canada, le Mexique et l’Europe ont annoncé qu’ils imposeraient des tarifs sur plusieurs produits américains importés. Il s’agit d’une escalade dangereuse qui n’est pas d’ordre à faciliter les négociations de l’ALENA. Les États-Unis menacent aussi d’appliquer un tarif sur les voitures fabriquées au Canada, au Mexique et en Europe.
On peut réellement douter de la volonté de l’administration Trump de conclure la renégociation de l’ALENA. Devant l’attitude des États-Unis, le Canada doit demeurer ferme sur ses positions et se montrer solidaire avec le Mexique. C’est la seule option. L’appui à l’ALENA aux États-Unis est très important. Les récentes actions de M. Trump inquiètent de plus en plus nos voisins du Sud. Les réactions se font entendre dans plusieurs secteurs et États américains. Le Canada doit garder son sang-froid. Nous ne sommes pas isolés et nous avons du temps.
Éditorial La Terre de chez nous
Édition du 13 au 19 juin 2018
Marcel Groleau, président général