Le premier ministre canadien, Justin Trudeau, a récemment annoncé que son gouvernement entendait resserrer les règles et durcir les critères d’admissibilité pour réduire le nombre de travailleurs étrangers temporaires (TET) occupant des emplois à bas salaire. Sans attendre la décision d’Ottawa, le gouvernement du Québec avait décrété, la semaine précédente, un gel de six mois dans la région de Montréal. Dans les deux cas, des exceptions sont prévues pour les domaines dits « essentiels », incluant l’agriculture et la transformation des aliments.
Ces exceptions tombent sous le sens. Rappelons que le secteur agroalimentaire est en situation de pénurie de main-d’œuvre depuis beaucoup plus longtemps que la majorité des autres secteurs économiques, d’où la création, il y a plus de 50 ans, du Programme des TET et du Programme des travailleurs agricoles saisonniers. En 2023, plus de 70 000 TET occupaient un emploi dans le secteur agricole canadien (plus de 23 000 au Québec, c’est-à-dire environ le tiers de tous les emplois agricoles). La transformation alimentaire n’est pas en reste, avec plus de 45 000 TET au Canada (plus de 11 500 au Québec).
Ces statistiques illustrent à quel point ces milliers de travailleurs du Mexique, du Guatemala et d’autres pays sont indispensables au secteur agroalimentaire ainsi qu’à l’autonomie et la sécurité alimentaire du Canada et du Québec. L’importance de cette main-d’œuvre explique aussi pourquoi les employeurs du secteur agroalimentaire sont depuis toujours sensibles aux droits et au bien-être des TET, ainsi qu’à leurs propres obligations. D’où ma réaction négative, sur les réseaux sociaux, au récent rapport de l’Organisation des Nations unies sur la situation des TET au Canada, qui compare leurs conditions de travail à « une forme contemporaine d’esclavage ». Il s’agit, ni plus ni moins, d’une négation flagrante de la réalité.
Par ailleurs, ce recours croissant à la main-d’œuvre étrangère a toutes les chances de continuer au cours des années à venir. En effet, le Conseil canadien pour les ressources humaines en agriculture (CCRHA) prévoit que le secteur agricole comptera environ 100 000 postes vacants au pays d’ici 2030.
Comme le mentionne le CCRHA dans un autre rapport (2021) au sujet du bassin de travailleurs locaux (qui occupent actuellement les deux autres tiers des emplois), l’industrie agricole québécoise « est confrontée à certaines difficultés pour ce qui est d’attirer et de retenir suffisamment de travailleurs. La perception que les salaires sont faibles, le manque de travailleurs qualifiés et les conditions d’emploi nuisent à la capacité du secteur à attirer et à maintenir en poste un nombre suffisant de travailleurs agricoles ».
Le CCRHA a raison d’utiliser le terme « perception ». Selon l’Enquête sur la population active de Statistique Canada, le salaire moyen d’un employé agricole, au Québec, serait de 21,11 $ l’heure, ce qui est tout à fait comparable à d’autres secteurs économiques comme le commerce de gros et de détail, les services d’hébergement et de restauration ainsi que les services relatifs aux bâtiments.
Le manque de travailleurs qualifiés, de son côté, varie grandement dans le temps et d’une région à une autre. À témoin, le taux de chômage moyen pour la première moitié de l’année oscillait entre 2,4 % et 8,6 %, selon la région. Quant aux conditions de travail, elles peuvent effectivement être exigeantes. Mais elles sont aussi particulièrement valorisantes. Travailler avec la nature et le vivant est un privilège que tous les productrices et producteurs connaissent intimement.
Changer les perceptions, valoriser le secteur agroalimentaire et promouvoir ses divers métiers est un aspect bien identifié dans la Politique bioalimentaire 2018-2025. Ce volet devra être non seulement reconduit, mais bonifié dans la prochaine mouture, dès l’an prochain. Il faut à la fois soutenir et investir!