J’ai eu l’occasion de participer, du 30 avril au 2 mai à Québec, au Colloque international « Agriculture, biodiversité et sécurité alimentaire : des engagements aux actions ». Plus de 300 intervenants de 39 pays, dont près du tiers étaient issus du milieu agricole, étaient présents à cet événement organisé par l’École supérieure d’études internationales de l’Université Laval, le ministère des Relations internationales et de la Francophonie, l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) et le Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique. L’objectif du Colloque était notamment de mettre en lumière l’agriculture comme source de solutions aux défis liés à la biodiversité et d’illustrer la contribution soutenue, mais souvent mal comprise et négligée, des productrices et producteurs.
Lors d’une table ronde en compagnie d’intervenants de l’Université Laval, de l’Organisation mondiale des agriculteurs, du Réseau de communication sur le pastoralisme, de l’Organisation panafricaine des agriculteurs et de l’Institut jardinier-maraîcher, j’ai insisté sur l’importance de voir l’agriculture comme une alliée de première ligne de la biodiversité, à la lumière, notamment, des changements climatiques.
Cette volonté est toutefois confrontée à de nombreux obstacles, en l’occurrence une baisse significative des revenus des productrices et producteurs et le manque de soutien et d’accompagnement des gouvernements en matière d’agriculture durable. La résultante de ces deux éléments, c’est que l’on assiste (au Québec et ailleurs dans le monde) à un fossé grandissant entre la volonté, les réalisations et l’adhésion des productrices et producteurs, d’une part, et les moyens dont ils disposent pour s’adapter aux changements climatiques, protéger la biodiversité et répondre toujours plus fidèlement aux attentes sociétales, d’autre part.
À témoin, le soutien planétaire consacré à l’adaptation climatique des systèmes agroalimentaires est passé d’environ 1 G$ (USD) en 2000 (quelque 55 % du soutien global) à environ 20 G$ (USD) en 2021 (quelque 20 % du soutien global). Autrement dit, le soutien aux systèmes agroalimentaires augmente beaucoup moins rapidement que celui consacré à d’autres secteurs. Le tout en se faisant répéter d’être « plus efficaces » et de continuer d’alimenter nos concitoyens.
Le coût associé à l’atteinte de résultats basés sur des recherches, des analyses et des discussions en l’absence des productrices et producteurs n’est pas pris en compte dans toute cette équation. Tout comme la valeur inestimable de leurs réalisations ces dernières décennies. Cet angle mort n’est pas sans conséquence, au moment où diverses instances s’attardent à la production d’une feuille de route définissant des cibles visant à protéger 30 % de la planète d’ici 2030, en vue de la COP16 de l’automne prochain. C’était d’ailleurs l’un des points majeurs du Colloque.
Il y a un danger réel, en ce qui concerne tant l’adhésion que les résultats, d’en ajouter une couche en tablant sur des attentes irréalistes à la lumière des obstacles que j’ai énumérés et sans considération du chemin parcouru. L’élastique est déjà étiré à son maximum, et c’est pourquoi le point de vue des agricultrices et des agriculteurs, directement touchés par les décisions à venir, doit être pris davantage en considération.
Ce malaise entre les attentes et la réalité est partagé par une multitude d’intervenants agricoles partout dans le monde. La forte présence d’agricultrices et d’agriculteurs tout au long du Colloque a d’ailleurs permis d’intégrer des éléments de réponse à ce malaise à même la feuille de route mentionnée précédemment, c’est-à-dire : la reconnaissance et la valorisation du rôle et de l’expertise des agriculteurs; le soutien et l’accompagnement; l’analyse coûts-bénéfices dans l’adoption de pratiques durables respectueuses de la biodiversité; l’adoption d’indicateurs dans la mise à jour des connaissances; les régimes fonciers et l’accès à la terre.
Au-delà de ces gains importants et en conclusion de cet événement, le président d’Agricord (et de la Coalition Nourrir l’humanité durablement), Marcel Groleau, a rappelé que l’atteinte des objectifs en matière de biodiversité, mais aussi de sécurité alimentaire, nécessitait aussi une intervention au regard du commerce mondial des denrées agricoles et alimentaires. Mettre en compétition les agricultrices et les agriculteurs du monde entier, alors qu’ils sont plutôt en mode « collaboration » pour nourrir la planète, nuit aux progrès souhaités.
L’agriculture d’ici et d’ailleurs en fait beaucoup pour la biodiversité. Notre participation à l’atteinte d’objectifs nationaux et internationaux est en soi légitime et sensée, mais elle doit s’appuyer sur une lecture éclairée de la réalité des productrices et producteurs.