Financement agricole Canada (FAC) a dévoilé récemment son rapport Valeur des terres agricoles 2022. Sans grande surprise, la valeur des terres en culture a continué d’augmenter partout au Canada (12,8 %). Le Québec n’échappe évidemment pas à cet élan inflationniste. En 2022, la province a enregistré une augmentation de 11 %, après avoir progressé de 10 % en 2021 et de 7,3 % en 2020. Des hausses significatives sont constatées dans les régions de Mauricie-Portneuf (19,2 %), du Bas-Saint-Laurent–Gaspésie (18,3 %), de l’Estrie (17,8 %), de l’Outaouais (15,7 %), du Centre-du-Québec (14,1 %), du Saguenay–Lac-Saint-Jean (14,0 %) et de Chaudière-Appalaches (13,5 %).
Difficile de ne pas établir un lien entre ce rapport et les préoccupations de la Fédération de la relève agricole du Québec (FRAQ), exprimées lors de sa récente assemblée générale annuelle. Plusieurs participants ont livré de vibrants témoignages. Quelque 160 d’entre eux ont illustré symboliquement leurs inquiétudes en déposant sur scène des pots remplis de terre pour décrier la situation. « C’est tellement plus que des pots avec des étiquettes de prix. Ce sont des histoires; des histoires de relèves qui s’inquiètent de la situation actuelle et qui demandent à être écoutées », a indiqué la présidente de la FRAQ, Julie Bissonnette.
Ce message bien senti est tout à fait légitime, d’autant plus que les causes de cette flambée des prix sont bien connues. Même si le dézonage tous azimuts a diminué ces dernières années, la zone agricole continue d’être grugée par l’étalement urbain, l’activité de spéculateurs financiers et immobiliers, les projets industriels et la construction d’infrastructures, entre autres pour le transport. Toutes ces activités contribuent à cette 37e hausse consécutive du prix des terres au Québec, à un point tel que rentabiliser une acquisition, pour la relève et même pour des productrices et producteurs établis, est devenu un défi de plus en plus insurmontable. La durée usuelle des prêts (tout comme les taux d’intérêt) devient d’ailleurs de plus en plus incompatible avec le retour sur investissement.
Le futur plan de mise en œuvre de la nouvelle Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire (PNAAT) permettra, espérons-le, d’améliorer les choses. Mais cette initiative, à elle seule, n’éliminera pas l’ensemble des irritants. Une approche beaucoup plus soutenue, concertée et sur plusieurs fronts, sera nécessaire pour freiner cette situation alarmante et, à terme, renverser la tendance. L’adoption d’une loi anti-spéculation, comme le réclament depuis plusieurs années l’Union et la FRAQ, serait un bon début. Évaluer les terres et les bâtiments agricoles en fonction de leur valeur agronomique (et non marchande) serait aussi un geste porteur.
Cet avenir se joue aussi ailleurs qu’en zone agricole. Plus de 270 municipalités et 20 MRC ont adopté des résolutions de leur conseil en faveur de la sauvegarde du potentiel acéricole en forêt publique, comme le demandent depuis bientôt trois ans les Producteurs et productrices acéricoles du Québec. L’organisation réclame, à juste titre, la protection de 200 000 hectares de forêt publique pour permettre la croissance de l’industrie de l’érable, un fleuron que le ministre André Lamontagne n’a pas manqué de souligner tout au long de sa récente mission au Japon.
Les gouvernements, plus particulièrement celui du Québec, ont investi des centaines de millions de dollars ces dernières années pour augmenter l’autonomie alimentaire de la province. En toute cohérence, l’atteinte de cet objectif nécessite plus que jamais des interventions vigoureuses en zone agricole et en forêt publique.
Comme l’affirmait la présidente de la FRAQ, « cela fait des années que la valeur marchande des terres augmente sans que les revenus suivent la même courbe. On veut des entreprises prospères et rentables, mais est-ce que ce sera encore possible? Ce que l’on offre à la relève d’aujourd’hui, c’est de s’endetter pour pouvoir nourrir le monde ». Assurer l’avenir alimentaire des Québécoises et des Québécois commande que ce cri du cœur soit entendu et que des gestes concrets soient posés.