Le budget présenté par le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, prévoit un déficit de 13,6 G$ pour l’année 2025-2026 ainsi qu’un retour à l’équilibre budgétaire d’ici le 31 mars 2030. Cette projection se base sur l’hypothèse que les droits de douane imposés par le gouvernement américain seront en moyenne équivalents à des tarifs de 10 % et qu’ils pourraient être en place pendant environ deux ans.
Plusieurs considèrent que les prévisions du ministre sont optimistes, voire discutables. Ce dernier s’en est bien défendu, affirmant qu’elles s’appuient sur les hypothèses de nombreux économistes du secteur privé. L’avenir nous dira s’il a consulté les bons.
Du côté agricole, les montants attribués à la poursuite du Plan d’agriculture durable 2020-2030 (100 M$ sur 5 ans), à la mise en œuvre de la Politique bioalimentaire du Québec 2025-2035 (60,3 M$ sur 5 ans) et au financement du Programme Investissement Croissance Durable (42 M$ sur 5 ans), sont visiblement en deçà des attentes et des inquiétudes des productrices et producteurs.
Tout d’abord, les investissements nécessaires en matière de bien-être animal, d’adaptation aux changements climatiques, d’innovation et de productivité, au cours des prochaines années, sont titanesques et nécessitent un appui indéfectible de tous les paliers de gouvernement. Les montants annoncés, plus particulièrement au regard de la Politique, sont à des années-lumière du soutien requis et ne permettront certainement pas l’adoption de politiques, de programmes et d’initiatives encore plus branchées sur la pérennité des entreprises, leur compétitivité face à leurs principaux concurrents ainsi que leur capacité de réussir sur tous les marchés.
On peut légitimement se demander si le gouvernement québécois comprend la valeur inestimable de notre secteur pour la collectivité. Les circonstances militaient dans le sens d’un soutien permettant d’actualiser les programmes de gestion des risques, de diminuer la part des taxes municipales assumées par les productrices et les producteurs, d’appuyer davantage l’agriculture en région périphérique, de répondre encore plus fidèlement aux attentes légitimes de la relève (en appuyant notamment le déploiement de la Fiducie agricole UPA-Fondaction), et d’une écoute encore plus attentive aux demandes des producteurs en forêt privée.
Les productrices et producteurs auraient aussi vu d’un bon œil le réinvestissement intégral de la contribution directe des entreprises agricoles au Fonds d’électrification et de changements climatiques (485 M$ de 2015 à 2024 inclusivement). La somme annoncée dans le discours sur le budget 2025-2026, c’est-à-dire 13,7 M$, laisse le milieu sur son appétit.
Plusieurs seront tentés de conclure que l’intérêt du gouvernement pour le secteur agricole laisse à désirer. D’autant plus qu’un grand nombre de productrices et de producteurs font encore les frais d’un contexte économique difficile, soit celui-là même à l’origine de la mobilisation de l’an dernier. La situation ne s’est manifestement pas améliorée, Agriculture et Agroalimentaire Canada prévoyant un revenu net agricole de 276 M$ au Québec en 2024 (40,4 % de moins qu’en 2023) et de -128 M$ en 2025 (-146,3 %). Ces prévisions désastreuses, précisons-le, ne tiennent même pas compte du conflit tarifaire!
Nous avons affirmé clairement que le soutien annoncé en réaction à la « crise agricole » et à la mobilisation des productrices et producteurs, en juin 2024, représentait une ouverture à court terme, que le travail n’était pas terminé et qu’il restait beaucoup de pain sur la planche. D’autant plus que la moitié des sommes annoncées n’a toujours pas été versée (exemple : 106 M$ pour le soutien à la lutte et à l’adaptation aux changements climatiques).
À tous ces constats, il faut ajouter l’actuel contexte tarifaire et le danger qu’il représente pour notre secteur. Comme nous l’avons rappelé lors de la création récente d’un front commun « pour notre sécurité alimentaire et nos régions », la majeure partie des exportations bioalimentaires québécoises (72 % en 2024; 9 G$) est destinée aux États-Unis. L’intoxication tarifaire du président américain représente donc une menace importante (tout comme les tarifs chinois sur le porc et le canola, en vigueur depuis le 20 mars).
Les productrices et producteurs ont de l’ambition pour leur secteur. Or, diminuer de 1,7 % les budgets agricoles du gouvernement (de 1 303 M$ à 1 281 M$) et les laisser en plan, alors qu’ils sont préoccupés par l’intoxication tarifaire de M. Trump, ébranlés par le contexte économique difficile, étouffés par la lourdeur administrative (en raison de la lenteur des travaux en cours) et exaspérés par des règlements mal adaptés à leurs impératifs de compétitivité, est un très mauvais signal à leur envoyer.