La ministre des Finances, Chrystia Freeland, a présenté le budget du Canada 2024 — son quatrième — à la Chambre des communes le 16 avril dernier.
Peu d’intervenants s’attendaient à des investissements substantiels en agriculture, même si les besoins sont grands. Lors des consultations prébudgétaires, nous avons insisté sur l’endettement croissant du secteur agricole canadien (+93,5 % entre 2012 et 2022), en raison notamment de l’augmentation du prix des terres et des investissements requis pour se conformer aux attentes sociétales. La hausse rapide et importante des taux d’intérêt (+5% depuis 2022) exerce donc une pression grandissante sur les dépenses d’intérêts (environ 1,3 G$, à terme, par hausse de 1 %, soit 6,5 % du revenu net du secteur agricole canadien en 2022). Par ailleurs, les dépenses totales des exploitations agricoles ont augmenté de 19,9 % en 2022, la plus forte hausse depuis 1979 (+21,1 %).
Les prévisions d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), diffusées en février dernier, confirmaient par ailleurs que le revenu net total du secteur agricole canadien a chuté de 43,5 % en 2023 et diminuera de 11,5 % cette année. En clair, des milliers d’entreprises agricoles du Nouveau-Brunswick (-50,7 % en 2023), du Québec (-49,2 % en 2023; -86,5 % en 2024), de l’Ontario (-39,6 % en 2024), du Manitoba (-33,6 % en 2023, -26 % en 2024), de la Saskatchewan (-46,6 % en 2023) et de l’Alberta (-63,4 % en 2023) vivent de façon particulièrement difficile le contexte économique actuel, mettant en péril non seulement leur pérennité à très court terme, mais aussi la sécurité alimentaire des Canadiennes et des Canadiens.
Pour toutes ces raisons, nous recommandions une aide spéciale au secteur agricole, plus fortement capitalisé que d’autres secteurs économiques et donc plus à risque face à la flambée des taux. Nous avons aussi suggéré des investissements supplémentaires en agroenvironnement, la mise en œuvre de pratiques encore plus durables entraînant des coûts importants pour les entreprises. Des investissements supplémentaires, comparables à ceux dont bénéficient nos principaux compétiteurs, étaient aussi nécessaires afin de respecter les cibles de la Stratégie pour une agriculture durable. Aux États-Unis (Conservation Programs), l’aide directe aux initiatives agroenvironnementales représente environ 0,8 % des recettes monétaires agricoles. Pour obtenir un appui équivalent, plus de 600 M$ devraient être accordés chaque année aux entreprises agricoles canadiennes.
Les recommandations de la Fédération canadienne de l’agriculture (FCA) allaient dans le même sens. Le gouvernement canadien devait aider à gérer l’augmentation des coûts de production, améliorer les programmes de gestion des risques, réduire les fardeaux réglementaires et fiscaux qui nuisent à la compétitivité, promouvoir une croissance stable et durable et soutenir les jeunes de la relève.
Le gouvernement canadien a partiellement donné suite à nos demandes ainsi qu’à celles de la FCA en ce qui concerne le plafond de 250 000 $ de la partie sans intérêt du Programme de paiements anticipés, comme annoncé récemment par AAC. Pour le reste, il a préféré concentrer ses nouvelles dépenses (53 G$ de 2024-2025 à 2028-2029) sur d’autres enjeux, comme la construction de logements, la défense et la réduction du coût de la vie.
La réponse du gouvernement canadien aux appels répétés du secteur agricole, compte tenu du contexte difficile, s’avère de plus en plus difficile à justifier. D’autant plus que l’absence d’investissements significatifs, année après année, n’est pas comblée par des actions législatives ou réglementaires favorisant la compétitivité des entreprises agricoles canadiennes (exemple : réciprocité des normes pour les produits importés).
Rappelons que l’agriculture et la transformation des aliments et des boissons jouent un rôle crucial dans l’univers économique canadien (3,4 % du PIB, 573 100 emplois). Le budget 2024 était une belle occasion, pour la ministre Freeland, de transmettre un signal fort à un secteur économique stratégique pour l’économie canadienne.
Ajoutons que la responsabilité de venir en aide au secteur agricole n’incombe pas uniquement aux gouvernements des provinces. L’inflation, l’augmentation des coûts de production et l’endettement touchent l’ensemble des fermes au pays. Il appartenait donc au gouvernement canadien d’aller au-delà de sa participation habituelle au financement des programmes fédéraux et provinciaux. Bref, un rendez-vous manqué qui confirme que l’agriculture, à Ottawa, est loin d’être une priorité nationale.