Le gouvernement du Québec a lancé, en juin, sa consultation nationale sur le territoire et les activités agricoles. Un rapport synthèse, prévu en mars 2024, évaluera la possibilité de « moderniser » la Loi sur la protection du territoire et des activités agricoles (LPTAA) et de mettre en place « diverses mesures ».
Dans notre mémoire sur le premier thème de la consultation (le territoire agricole), nous avons rappelé que la zone agricole québécoise ne représente qu’environ 4 % du territoire et qu’elle constitue donc une ressource limitée, non renouvelable et essentielle à l’autonomie et la sécurité alimentaires des Québécoises et des Québécois. Surtout à la lumière des changements climatiques, et d’autant plus que les agricultrices et les agriculteurs n’ont accès qu’à la moitié (2 %) de cette superficie en raison de nombreux obstacles. Avec seulement 0,24 hectare (ha) en culture par habitant, le Québec a un ratio 15 fois plus bas que l’Alberta, 6 fois plus bas que le Canada, 2 fois plus bas que la France et 5 fois plus bas que les États-Unis!
Nous avons aussi déploré le fait que la zone agricole continue malgré tout d’être grugée par l’étalement urbain, l’activité de spéculateurs financiers et immobiliers, les projets industriels et la construction d’infrastructures, notamment pour le transport. À cet égard, les documents fournis dans le cadre de la consultation indiquent que « l’étendue de la zone agricole (environ 6,3 millions d’hectares) est relativement stable depuis 1988 » en raison des exclusions (24 651 ha) et des inclusions (28 235 ha).
Cette analyse est toutefois incomplète, car elle fait abstraction des milliers d’hectares sacrifiés en raison d’utilisations non agricoles (drainage de terrains municipaux, servitudes de passage, etc.), qui amputent un territoire donné de ses activités agricoles sans pour autant procéder à un dézonage (exclusion) en bonne et due forme. Dans les faits et en raison de ce recours croissant à des exclusions « déguisées », la zone verte est déficitaire d’environ 57 000 hectares depuis 1998. Une gestion plus saine de l’urbanisation, incluant la consolidation des pôles urbains existants, la concentration de la croissance urbaine, la requalification des secteurs urbains existants ainsi que la densification et l’intensification des usages, est donc plus nécessaire que jamais!
Nous avons aussi abordé les références persistantes du gouvernement québécois à la protection des « meilleures » terres agricoles ainsi que l’insistance préoccupante des documents de consultation sur la qualification des sols. Certains pourraient penser qu’on tente de mettre subtilement la table à une protection accrue pour certains sols et moindre pour d’autres, comme le réclament plusieurs élus municipaux.
Cette nouvelle doctrine du « protéger moins, mais protéger mieux » ne passe pas la rampe. D’une part, la qualification des sols ne suffit pas à établir le potentiel, les possibilités et les occasions réelles d’utilisation. D’ailleurs, rappelons que c’est sur plusieurs terres jugées « de moins bonne qualité » que se font certaines des cultures les plus emblématiques du Québec (ex. : érable, bleuets, canneberges). Toutes les superficies agricoles sont importantes et propices à des activités agricoles et forestières, peu importe leur classification.
D’autre part, ces références répétées à la protection des « meilleures » terres donnent raison aux intervenants municipaux qui réclament plus de flexibilité. Considérant que la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) a déjà un taux d’autorisation moyen de 74 %, il faut écarter cet appel à des accommodements. Un retour à l’époque où chaque municipalité pouvait formuler ses propres demandes d’exclusion, une prérogative réservée aux municipalités régionales de comté et aux communautés métropolitaines depuis l’adoption du projet de loi 103 en 2021, est aussi à proscrire.
Pour ces raisons et plusieurs autres, nous avons demandé au gouvernement du Québec de défendre intégralement le territoire agricole, incluant la primauté de la LPTAA, et de renforcer tous les mécanismes nécessaires à sa protection. Le principe de « zéro perte nette » en zone verte, c’est-à-dire aucune nouvelle perte de superficie agricole ou forestière, fait partie de la solution. Lors d’un récent webinaire tenu dans le cadre de la consultation, la très vaste majorité des intervenants ont tenu des propos de même nature, incluant les trois chercheurs invités. Les faux arguments de celles et ceux qui considèrent notre garde-manger comme une zone en attente de développement sont incompatibles avec les besoins alimentaires et climatiques des Québécoises et Québécois.