L’UPA a participé récemment aux consultations parlementaires sur le projet de loi no 22, Loi concernant l’expropriation. L’objectif de cette législation déposée en mai dernier par la ministre des Transports, Geneviève Guilbault, est d’atteindre un « équilibre » entre la prévisibilité des coûts d’acquisition immobilière, les délais de réalisation des projets d’utilité publique et les droits des citoyens. En résumé, les propriétaires recevront moins que ce qu’ils étaient en droit de recevoir auparavant. La partie expropriante pourra quant à elle arriver à ses fins plus rapidement et à moindre coût.
Certains intervenants, comme la Communauté métropolitaine de Montréal, ont bien accueilli le projet de loi, saluant plus particulièrement « la mise en place de règles claires pour déterminer les indemnités ». D’autres, comme l’Institut de développement urbain du Québec (IDU), l’Institut de développement économique de Montréal et l’Ordre des évaluateurs agréés du Québec, l’ont sévèrement critiqué. Selon ces intervenants, le projet de loi « retire des droits aux expropriés », « favorise leur appauvrissement » et « ouvre la porte à des dérives ».
Dans notre présentation, nous avons insisté sur l’importance de la zone agricole pour le patrimoine et l’autonomie alimentaire du Québec. Rappelons que la toute récente Politique nationale de l’architecture et de l’aménagement du territoire indique clairement que l’implantation d’usages non agricoles en zone verte nuit au maintien et au développement de l’agriculture, provoque des conflits d’usages et favorise l’éparpillement de notre empreinte collective. Malgré les mécanismes de protection en place, la zone agricole est constamment grugée par l’étalement urbain, les projets d’infrastructures de toutes sortes et les initiatives de conservation. Les expropriations en zone verte doivent donc demeurer l’exception, en tout temps et en toutes circonstances.
Nous avons aussi abordé des lacunes importantes du projet de loi. Ce dernier permettrait dorénavant une expropriation avant même d’obtenir les autorisations requises. Une productrice ou un producteur pourrait ainsi être exproprié(e) en raison d’un projet qui, ultimement, n’obtiendrait pas le feu vert de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ). À titre d’exemple, dans un dossier qui a fait les manchettes ces derniers mois, la Municipalité de Saint-Antoine-de-Tilly aurait pu exproprier deux lots de la Ferme Marijoli (afin d’y creuser un puits) avant même l’orientation préliminaire défavorable de la Commission, déposée le 1er septembre dernier.
Une telle façon de faire est insensée. C’est pourquoi le projet de loi doit prévoir une exception pour les projets en zone agricole. Avant d’entreprendre une expropriation en zone verte, l’autorisation de la CPTAQ, lorsque requise, doit être obtenue du corps expropriant. Cela permettrait d’éviter qu’on procède à des expropriations alors qu’il n’existe aucune garantie que le projet public sera réalisé. Par ailleurs, le projet de loi doit prévoir qu’une terre expropriée, advenant l’abandon du projet, soit réintégrée en zone verte et rapidement rétrocédée à la productrice ou au producteur concerné(e), au même montant que l’indemnité préalablement accordée.
Le projet de loi encadre également les types de dommages et limite la valeur des indemnités en ne laissant aucune marge de manœuvre aux tribunaux qui, jusqu’à maintenant, pouvaient accorder un montant en fonction des besoins propres à chaque exproprié. Ainsi, l’indemnité ne pourrait plus excéder de 35 % la somme de la valeur marchande du droit exproprié. Ce volet, ainsi que les montants prévus, est incompatible avec la réalité des entreprises agricoles.
Les productrices et producteurs rassemblent en effet tout leur milieu de vie sur leur terre : leur résidence, leur entreprise, leurs souvenirs, etc. Une productrice ou un producteur qui se fait exproprier peut donc tout perdre. Pensons notamment aux traumatismes qui ont découlé des expropriations pour l’aéroport de Mirabel. Ces effets se font encore sentir près d’un demi-siècle plus tard! C’est pourquoi les productrices et producteurs exproprié(e)s doivent bénéficier d’un statut particulier et d’indemnités justes et équitables, à la hauteur du sacrifice qui leur est imposé. Les montants maximums fixés dans le projet de loi ne doivent donc pas s’appliquer au milieu agricole et les indemnités doivent demeurer à la discrétion des tribunaux.
L’expropriation fait partie des actions les plus intrusives de l’État. En agriculture, elle entraîne des conséquences importantes sur les familles et déstabilise le milieu dans lequel elles évoluent. Elle est aussi une atteinte grave au patrimoine et à l’autonomie alimentaire du Québec. Ces terres représentent une ressource limitée et non renouvelable qu’il est essentiel de protéger. La ministre Guilbault doit tout mettre en œuvre pour que leur expropriation ne soit pas facilitée par des changements législatifs qui mettraient en péril la pérennité de la production agricole québécoise, qui est le garde-manger du Québec.