La mobilisation des productrices et producteurs attire de plus en plus l’attention. Pas une semaine ne passe sans que le ministre André Lamontagne et le premier ministre François Legault ne soient questionnés sur leurs intentions par les oppositions officielles et les médias.
Les réponses du gouvernement sont toutefois loin d’être convaincantes. Oui, la mesure dite « d’urgence » annoncée en mai 2023 permet aux entreprises de générer des liquidités pouvant atteindre jusqu’à 167 M$. Il reste qu’il s’agit de garanties de prêt auprès d’institutions financières privées (souvent des refinancements) que les entreprises devront éventuellement rembourser et que l’investissement réel, pour le gouvernement, est de 25 M$ (sur trois ans).
Oui, les décaissements de La Financière agricole du Québec (FADQ) ont été plus élevés qu’à l’habitude en 2023. Mais les deux tiers des fonds proviennent du gouvernement canadien et des producteurs eux-mêmes, en plus de ne pas tenir compte de l’arrimage entre les programmes. Par ailleurs, l’effondrement du revenu net agricole au Québec en 2023 (-49,2 %) et en 2024 (-86,5 %) en dépit de ces décaissements démontre que le soutien et les programmes québécois ne sont pas à la hauteur, et non l’inverse.
Oui, la FADQ a identifié un grand nombre d’entreprises et leur offre de l’accompagnement personnalisé. Mais en quoi cette démarche est-elle exceptionnelle? Ce genre d’intervention est au cœur même du mandat de l’institution, que le contexte économique soit favorable ou non. On reste dans la normalité des choses.
Oui, le gouvernement du Québec a lancé récemment un « chantier » visant à réduire le fardeau réglementaire et administratif. Il reste que les productrices et producteurs ont attendu soixante-cinq mois avant que le gouvernement donne suite à cet engagement électoral « prioritaire » du premier ministre (UPA, 5 septembre 2018) et que ce fardeau augmente de façon systématique d’année en année. Les nuisances à l’environnement d’affaires et à la compétitivité de nos entreprises frisent la surenchère dans plusieurs domaines, qu’il s’agisse d’agroenvironnement, de recours à la main-d’œuvre étrangère, de l’interdiction d’accroître les superficies en culture dans plusieurs municipalités (en place depuis deux décennies) ou des irritants imposés aux producteurs artisanaux de boissons alcooliques.
Dans une récente entrevue avec le journaliste Gérald Filion (Zone Économie, Radio-Canada), M. Lamontagne a tempéré l’augmentation importante de la dette agricole au Québec, des faillites et des intentions de fermeture en disant que les actifs agricoles sont passés de 22 G$ à 72 G$ en 25 ans, et qu’il y a donc « davantage de valeur » pour le montant de la dette.
D’une part, cette valeur est sur papier. Les productrices et producteurs ne se mettront pas à liquider des actifs pour payer leurs employés, leurs engrais ou la nourriture de leurs animaux. D’autre part, de 1997 à 2022, la dette totale du secteur agricole québécois a augmenté beaucoup plus (+444 %) que les actifs totaux (+344 %), pendant que le revenu net n’a augmenté que de 45 %. Autrement dit, les productrices et producteurs assument beaucoup plus de dettes, avec très légèrement plus de profits. Par ailleurs (et c’est bien connu), les agricultrices et agriculteurs qui cèdent leurs actifs à la génération suivante le font généralement en deçà (entre 50 % et 70 %) de leur valeur réelle, de façon à lui donner un coup de pouce. Le gouvernement devrait donc être attentif aux propositions de l’UPA à cet égard, en l’occurrence la mise en place d’un bouclier financier agricole pour contrer la flambée des taux d’intérêt.
Tenter de convaincre les partis d’opposition, les médias et le grand public que le gouvernement s’acquitte convenablement de ses responsabilités est un réflexe politique compréhensible. Mais personne n’est dupe. Les productrices et producteurs qui mettent de côté leurs travaux habituels pour participer aux nombreux ralliements en région ne le font pas parce qu’ils considèrent que le gouvernement s’est acquitté convenablement de ses responsabilités. Gérer le message (« spin ») gouvernemental, c’est une chose, mais la recherche de solutions doit primer en tout temps.