La protection de notre garde-manger a toujours occupé une place de choix dans nos interventions. D’une part, la zone agricole cultivable ne représente que 2 % du territoire québécois. Elle est une ressource limitée, non renouvelable et essentielle à la sécurité alimentaire des Québécois, surtout à la lumière des changements climatiques. D’autre part, cette même zone agricole continue d’être grugée par l’étalement urbain, l’activité de spéculateurs financiers et immobiliers, les projets industriels et la construction d’infrastructures, entre autres pour le transport.
Nous avons beaucoup insisté sur ces préoccupations tout au long des travaux qui ont mené à la nouvelle Politique nationale d’architecture et d’aménagement du territoire (PNAAT) et nous profitons de toutes les tribunes à notre portée pour que cet enjeu soit pleinement intégré au futur plan de mise en œuvre. Nous avons aussi insisté, lors des récentes consultations sur le projet de loi 16 modifiant la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (LAU), sur la nécessité d’y asseoir, de façon claire et ferme, la vision et les constats relevés dans la PNAAT.
Cette insistance est plus que nécessaire. Même si le dézonage tous azimuts a diminué ces dernières années, plus de 9 000 hectares agricoles ont tout de même été sacrifiés à d’autres usages que l’agriculture, dont 81 % sous la forme d’utilisations non agricoles (UNA) en zone verte (drainages de terrains municipaux, servitudes de passage, etc.). Ce recours croissant aux UNA est très préoccupant, car il ampute un territoire donné de ses activités agricoles sans pour autant procéder à un dézonage en bonne et due forme.
Une toute récente mise à jour du portrait des transactions foncières nous confirme aussi que 50 % des acquisitions par des entreprises, en zone agricole, ont été faites par des non-agriculteurs en 2022 (12 % en 2012). Cette intrusion non agricole en zone verte a des conséquences non seulement sur la valeur des terres, qui continue de grimper en flèche, mais aussi sur leur disponibilité pour les agriculteurs de métier et la relève.
La pression constante sur la zone agricole justifie pleinement nos appels répétés à l’adoption d’une loi anti-spéculation (comme le demande également la Fédération de la relève agricole du Québec et comme le fait déjà la Saskatchewan depuis deux décennies), à l’exemplarité de l’État dans toutes ses décisions d’aménagement et à l’intégration, en toutes circonstances, du principe de « zéro perte nette », soit le maintien des superficies agricoles et des superficies forestières productives de même qualité, tant pour les projets futurs que pour ceux en cours. Beaucoup d’efforts législatifs et réglementaires sont consacrés à la protection des milieux humides et hydriques, qui représentent respectivement 10 % et 12 % du territoire québécois. Ne devrait-on pas en faire autant pour la zone cultivable, qui n’en représente que 2 %?
Par ailleurs, faire de la protection du territoire agricole une véritable priorité nationale nécessiterait aussi d’encadrer davantage l’élan soudain vers la plantation de milliers d’arbres sur des terres actuellement en culture. La protection de la biodiversité par la conservation de 30 % du territoire québécois d’ici 2030 (Plan nature du gouvernement du Québec) ne doit pas se faire au détriment des activités agricoles. Plusieurs productrices et producteurs de l’Abitibi-Témiscamingue, du Saguenay–Lac-Saint-Jean et d’autres régions sont déjà approchés par une multitude d’intervenants. Cette sollicitation débridée, que l’on constate également dans le dossier éolien et dans celui des crédits de carbone, est de très mauvais augure.
Ces dernières années, le gouvernement du Québec a multiplié les mesures et les investissements pour faire croître l’autonomie alimentaire de la province. La protection de la zone et des activités agricoles doit elle aussi être à la hauteur. Parce que « pas de nourriture sans agriculture » mène nécessairement à « pas d’agriculture sans terres agricoles ».