J’ai récemment eu l’occasion de présenter nos commentaires dans le cadre des consultations sur le projet de loi 19, Loi sur l’encadrement du travail des enfants. L’objectif du projet de loi est de contrecarrer l’augmentation importante du nombre de lésions professionnelles chez les 14 ans et moins (+ 540 % entre 2017 et 2021) tout en favorisant la persévérance scolaire.
Le projet de loi prévoit, entre autres, d’interdire aux employeurs de faire travailler un enfant en deçà de l’âge de 14 ans. Cette interdiction ne s’applique toutefois pas au travail fait dans une entreprise familiale de moins de 10 salariés par l’enfant du propriétaire, de son conjoint ou de sa conjointe, de l’administrateur ou de l’associé. Le projet de loi prévoit aussi un nombre maximum de 17 heures travaillées par semaine, en période scolaire, dont 10 heures peuvent être effectuées du lundi au vendredi.
J’ai d’emblée signalé aux parlementaires que l’UPA accueillait positivement le projet de loi. D’une part, 94,2 % des entreprises agricoles au Québec sont des entreprises familiales. D’autre part, 10 175 exploitations agricoles au Québec (sur plus de 29 000) emploient 67 468 travailleuses et travailleurs, soit une moyenne d’environ 6 employés par entreprise. La combinaison de ces deux réalités fait en sorte que l’exception prévue au projet de loi, c’est-à-dire les entreprises familiales qui comptent moins de 10 employés, couvre de facto la quasi-totalité des entreprises agricoles concernées.
Le projet de loi fait toutefois abstraction d’une grande réalité dans le secteur agricole, c’est-à-dire le recours fréquent aux enfants du voisinage, plus particulièrement pendant la saison estivale. Pensons notamment aux producteurs maraîchers, qui embauchent chaque été des jeunes de leur coin de campagne pour récolter des fraises, des framboises ou des bleuets ou encore pour donner un coup de main au kiosque, lorsque la situation s’y prête.
De telles situations conviennent à toutes les parties prenantes : une main-d’œuvre d’appoint pour les productrices et producteurs, un gagne-pain (souvent une première expérience de travail) pour les jeunes et un endroit convivial et sécuritaire pour les parents qui n’ont pas les moyens d’inscrire leurs enfants à un camp de jour ou qui n’y ont pas accès. Ce sont d’ailleurs les jeunes eux-mêmes qui, la plupart du temps, approchent les productrices et les producteurs du coin. C’est pourquoi l’UPA a demandé qu’une exception soit ajoutée au projet de loi.
Sans se montrer complètement fermé à cette idée, le ministre du Travail, Jean Boulet, a tout de même émis certaines réserves. Selon lui, diminuer la portée globale du projet de loi en multipliant les exceptions et en conférant un « avantage » à divers secteurs d’activité n’est pas une avenue souhaitable. Cet argument est toutefois plus théorique que pratique.
D’une part, le projet de loi prévoit déjà des exceptions (livraison de journaux; garde d’enfants; aide aux devoirs; colonie de vacances; etc.) et reconnaît que divers accommodements sont nécessaires. L’application intégrale est donc d’ores et déjà écartée. D’autre part, le secteur agricole possède un riche historique côté sécurité et prévention (partenariat de l’UPA avec la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail; mutuelle de prévention; webinaires; brochure sur la sécurité des enfants à la ferme; table de concertation; etc.). Les jeunes bénéficient également d’un encadrement rigoureux, incluant l’autorisation des parents, la définition des tâches et la formation appropriée.
Plus fondamentalement, le travail à la ferme à partir d’un jeune âge et le recours aux enfants du voisinage est une partie intégrante de l’environnement agricole, qui s’apparente autant à une entreprise qu’à un milieu de vie. Cette réalité organique entre les occupations professionnelles, la vie de famille et la collectivité sont au cœur de la très vaste majorité des entreprises agricoles au Québec. Cela explique pourquoi la santé et la sécurité sont depuis toujours des préoccupations constantes. Cela démontre aussi à quel point il est de très loin préférable d’encadrer une pratique largement répandue que d’interdire une situation « gagnante-gagnante » qui convient à 100 % des personnes concernées.