Dans un texte intitulé Des milliards sans transparence : la rente tranquille des producteurs laitiers, le professeur titulaire et directeur scientifique du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire à l’Université Dalhousie, Sylvain Charlebois, prétend que la gestion de l’offre masque « une série de mécanismes opaques méconnus du grand public » et « mal compris de bon nombre de nos élus ». Cette intervention est encore une fois très mal avisée.
Les politiques dans le secteur laitier sont tout à fait transparentes et sont supervisées par une société d’État : la Commission canadienne du lait (CCL). Le prix aux producteurs est indexé une fois par année sur la base d’une formule qui tient compte des coûts de production (50 %) et de l’indice des prix à la consommation (50 %). La décision de la CCL est habituellement annoncée en novembre, par voie de communiqué. L’étude des coûts de production est réalisée par des firmes indépendantes et diffusée sur le site Web de la CCL. Il est même possible de connaître la part exacte des producteurs dans le prix de détail de chaque produit laitier.
Toutes les règles de fonctionnement de la gestion de l’offre sont encadrées par des lois et réglementations fédérales et provinciales qui sont, par définition, toutes publiques et accessibles. Les décisions de production, comme les émissions ou les réductions de quota, sont quant à elles communiquées publiquement par Les Producteurs de lait du Québec sur leurs réseaux sociaux.
Par ailleurs, les producteurs achètent leur quota. Ils ne le reçoivent pas gratuitement, contrairement aux prétentions de M. Charlebois. Ils le paient lorsqu’ils achètent la ferme. Le reste est principalement constitué d’achats à la marge pour couvrir les gains de productivité et à un prix plafonné (au Québec). Mentionnons aussi que le coût du quota n’est pas inclus dans les coûts de production du lait. Il n’est donc pas assumé par les consommateurs.
Plus fondamentalement, rappelons que les secteurs laitier, ovocole et avicole sont névralgiques pour l’économie, habitent le territoire, contribuent au développement de nos régions et enrichissent la collectivité en mettant en commun leurs ressources (transport, publicité, recherche, etc.). Ils savent aussi moderniser leurs pratiques au fil des ans. À titre d’exemple, les productrices et producteurs laitiers investissent plus de 600 M$ par année dans leurs entreprises pour les rendre plus performantes, efficaces et durables.
Les secteurs sous gestion de l’offre sont également soucieux de la relève. À titre d’exemple, la Fédération des producteurs d’œufs du Québec remet annuellement, dans le cadre de son Programme d’aide au démarrage de nouveaux producteurs, 6 000 poules pondeuses octroyées à un nouveau producteur d’œufs (100 000 unités de quota de poules pondeuses depuis 2006).
Par ailleurs, la gestion de l’offre traduit un rejet généralisé du gigantisme américain et de ses travers, comme le démontrent la grippe aviaire, la fermeture de mégasites de production et la flambée subséquente du prix des œufs aux États-Unis.
Les Canadiens et les Québécois ne toléreraient jamais une agriculture à l’américaine, où la rentabilité est conditionnelle à l’emploi de milliers de sans-papiers (environ 40 % de tous les emplois agricoles, selon l’American Farm Bureau Federation; près de 70 % dans le secteur laitier, selon certaines sources au Wisconsin). Le libre marché à tout crin préconisé par certains intervenants favorise ce genre de situations inacceptables, tant commercialement qu’humainement.
Le modèle américain suppose aussi une très grande volatilité des prix, en l’occurrence dans le secteur des œufs. Le soutien de l’État devient donc incontournable pendant les périodes creuses.
Au regard de l’autonomie et de la sécurité alimentaire, la gestion de l’offre est avantageuse à plusieurs égards, tant pour les producteurs que pour l’industrie, les consommateurs et les gouvernements. Elle permet aussi au Canada de s’ouvrir à la mondialisation, comme en témoigne l’augmentation de ses exportations (66 %) et importations (60 %) agroalimentaires ces dix dernières années.
Protéger la gestion de l’offre, c’est aussi défendre toute la mise en marché collective, un volet essentiel de notre contribution au projet de société que nous souhaitons continuer de bâtir. Les gouvernements du Canada et du Québec doivent donc tout mettre en œuvre pour en préserver l’intégrité.