À l’étude au Sénat avant sa troisième et dernière lecture, le projet de loi bloquiste C-282, qui vise à protéger les secteurs sous gestion de l’offre dans les futures négociations commerciales, a fait l’objet de discussions et de comparaisons particulièrement alambiquées ces dernières semaines.
À titre d’exemple, l’ex-ministre libéral John Manley a récemment indiqué aux membres du comité sénatorial des affaires étrangères et du commerce international que le « lobby agricole pour protéger la gestion de l’offre » était le « groupe de pression le plus efficace au Canada », semblable à la National Rifle Association of America, le lobby en faveur de la possession et du port d’armes aux États-Unis. Il a aussi déclaré que la gestion de l’offre nuisait aux négociations commerciales, que le Canada devrait éventuellement s’en défaire.
Les propos farfelus et insultants de l’ex-ministre n’ont pourtant aucune incidence sur les faits. La gestion de l’offre n’a jamais empêché la conclusion d’accords commerciaux, comme en témoignent les 15 traités signés par le Canada avec 49 pays (dont 12 sans aucune concession sur la gestion de l’offre). D’ailleurs, le Canada a exporté pour près de 99,1 G$ de produits agricoles et alimentaires dans plus de 200 pays en 2023, se classant au huitième rang mondial dans cette catégorie.
Ces statistiques démontrent clairement que la principale recommandation du comité, c’est-à-dire de limiter la portée du projet de loi aux nouveaux traités commerciaux, n’a aucun véritable fondement. D’autant plus qu’une révision de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique est prévue en 2026, que les secteurs sous gestion de l’offre ont essuyé des pertes historiques lors de sa négociation d’origine, et que nos voisins du sud viennent d’élire un président qui promet déjà d’être très agressif lors de la renégociation. D’ailleurs, l’ambassadeur américain David Cohen qualifiait tout récemment la gestion de l’offre de « problème » qui ferait l’objet de discussions tant et aussi longtemps qu’il ne sera pas « résolu ».
Le jupon dépasse et on a déjà joué dans ce film, comme on dit. Il serait donc irresponsable de ne pas se préparer ou de prétendre, comme le sénateur Clément Gignac, qu’exclure la gestion de l’offre attiserait encore plus la convoitise des autorités américaines. « Veut-on vraiment attirer l’attention de M. Trump? » s’est-il questionné récemment, tout en invitant les parlementaires « à y penser deux fois » avant d’aller de l’avant.
En tout respect pour M. Gignac, ce raisonnement n’est pas une expression de prudence, mais plutôt d’incohérence. Le message capté de l’autre côté de la frontière, en abandonnant C-282 ou en limitant indûment sa portée, serait que le gouvernement canadien n’a pas l’intention de résister outre mesure aux ambitions avouées et assumées des Américains quant à nos marchés avicoles et laitiers.
Une telle position de faiblesse, avant même de s’asseoir à table, serait mal avisée et doit être évitée à tout prix. C’est pourquoi les sénateurs doivent faire preuve de responsabilité et adopter C-282, sans donner suite aux amendements proposés par le comité.
Fondamentalement, le Canada peut très bien, comme tous les autres pays sur la planète, s’ouvrir à la mondialisation des échanges en défendant ses marchés les plus sensibles (comme, à titre d’exemple, le sucre et le coton aux États-Unis ou le riz au Japon). Il n’y a pas de contradiction entre les deux. Et rien n’est plus sensible, plus important, qu’alimenter durablement nos concitoyens et faire vivre nos collectivités, partout au Canada.