La disparition des terres agricoles est un véritable cancer qui nous dévore lentement, quelques dizaines d’hectares à la fois, ici et là ; un mal indélogeable qui ronge notre territoire, et ce, partout au Québec.
Au lendemain des élections municipales, nous interpellons les élus nouvellement arrivés en poste et ceux reconduits au pouvoir afin qu’ils fassent de la protection des terres agricoles une priorité dans le cadre du mandat qu’ils entament et qu’ils s’attaquent à ce drame silencieux.
La tentation du développement sur les terres agricoles est grande au Québec. Sur le territoire de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), des milliers d’hectares agricoles sont actuellement ciblés pour des usages autres qu’agricoles. Les projets domiciliaires et les activités économiques exercent une pression constante sur les milieux agricoles, que cela soit au long de l’autoroute 30, à Laval ou ailleurs au Québec.
Au-delà des conséquences évidentes sur nos écosystèmes et en termes d’étalement urbain, c’est la sécurité alimentaire du Québec qui est mise en péril par l’acharnement sur nos terres agricoles. Cette forte demande pour les terres constitue une barrière supplémentaire à l’établissement de la relève agricole, étouffée par l’augmentation de la valeur foncière et la spéculation.
Une ressource non renouvelable
Nos terres sont une ressource non renouvelable : leur conversion est un geste irréparable. Elles jouent un rôle primordial pour préserver notre sécurité alimentaire, particulièrement dans un contexte de changements climatiques. Au-delà de leur vocation nourricière, elles sont essentielles au maintien de la biodiversité de la Ceinture verte du Grand Montréal.
En 2012, la CMM a fait un pas significatif pour protéger les zones agricoles en adoptant le Plan métropolitain d’aménagement et de développement (PMAD). Ce geste concerté découlait de la nécessité de mettre fin à l’urbanisation désordonnée et de protéger notre garde-manger collectif et nos milieux naturels.
Selon le PMAD, l’espace actuellement disponible sur le territoire de la CMM en dehors des zones agricoles permet d’accueillir plus de 350 000 ménages et de répondre aux besoins résidentiels, industriels et commerciaux pour les 15 prochaines années.
Pourtant, nombreux sont les intervenants municipaux et promoteurs privés qui continuent de considérer les terres agricoles comme une banque de terrains disponibles ou une zone en attente de développement. Plus de 1000 hectares agricoles sont ainsi ciblés par diverses municipalités et municipalités régionales de comté (MRC) sur le territoire de la CMM, malgré l’adoption du PMAD.
PL85 : un dangereux précédent
Le projet de loi 85 visant l’implantation de deux pôles logistiques et d’un corridor de développement économique aux abords de l’autoroute 30 prévoit permettre l’implantation, dans cette zone, de projets du secteur logistique sans préavis ni consultation, sans considération pour l’acceptabilité sociale et sans égard aux lois et règles d’aménagement, d’urbanisme ou de protection du territoire et des activités agricoles en vigueur. Mille autres hectares des meilleures terres agricoles au Québec sont ciblés par ce projet de loi.
Il crée un véritable mécanisme parallèle de dézonage qui permet de faire fi des structures en place. En ce sens, le PL85 est un dangereux précédent : le gouvernement se donne le droit de contourner les règles qu’il s’est lui-même imposées pour encadrer le développement en zone agricole. Il met de côté l’expertise de la Commission de protection du territoire agricole du Québec et les balises prévues par le PMAD, mettant du coup en péril toute la structure que nous nous sommes donnée collectivement pour protéger le territoire agricole du Québec. Le projet de loi ouvre la porte à l’adoption de législations similaires visant d’autres territoires, au gré des priorités changeantes des gouvernants. Surtout, il contribue à la spéculation immobilière permettant un dézonage politisé.
À l’heure où les Québécois s’enthousiasment pour l’agriculture locale, il est nécessaire de réfléchir à la cohabitation entre les milieux urbain et agricole. Au Québec, moins de 2 % du territoire est propice à l’agriculture, et c’est dans la grande région de Montréal que les terres sont les plus productives. Les municipalités doivent perdre le réflexe d’empiéter systématiquement sur le territoire agricole pour assurer leur expansion. Une réflexion collective profonde s’impose quant à l’aménagement de notre territoire et la nécessité de s’engager pour la protection intégrale des terres qui alimentent le Québec.
Marcel Groleau, président général, Union des producteurs agricoles
Karel Mayrand, directeur général pour le Québec et l’Atlantique, Fondation David Suzuki
Steven Guilbeault, cofondateur et directeur principal, Équiterre
Christian Savard, directeur général, Vivre en Ville