J’ai eu l’occasion de participer, le 13 juin dernier, à la 29e Conférence de Montréal. Lancée dans la foulée de la création de l’Accord de libre-échange nord-américain en 1994, cette conférence internationale avait pour thème cette année la réussite économique dans un monde en pleine transition.
Lors d’un panel en compagnie d’Annie Royer, professeure titulaire et chercheuse à l’Université Laval, de Henri-Paul Rousseau, professeur associé chez HEC Montréal et président du conseil de Noovelia et d’Yves Leclerc, directeur mondial, Agriculture durable chez McCain Foods, nous avons exploré un enjeu pressant en agriculture, c’est-à-dire d’« accélérer la transition vers un secteur bioalimentaire innovant ».
Animées par Nathalie de Marcellis-Warin, professeure titulaire à Polytechnique Montréal et présidente-directrice générale du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO), les discussions ont permis de mettre en lumière plusieurs aspects du sujet. Mme Royer a rappelé que plusieurs productrices et producteurs agricoles se questionnent sur les bénéfices et les risques réels de la récolte de données. M. Leclerc a quant à lui insisté sur la présence grandissante des nouvelles technologies dans le milieu agricole. M. Rousseau, de son côté, s’est exprimé sur les défis de la numérisation en raison du morcellement des divers maillons de la chaîne bioalimentaire.
Pour ma part, j’ai abordé la notion de durabilité, mise à rude épreuve en raison de l’inflation. Les fermes québécoises sont aussi déjà très engagées dans la transition écologique, ajustent constamment leurs pratiques pour répondre aux demandes sociétales et doivent respecter un nombre grandissant de lois, de normes et de règlements. Les consommateurs, de leur côté, accordent une grande importance à tous ces aspects, mais continuent de prioriser le prix comme principal critère d’achat (80 % selon le CIRANO). Conjuguer tous ces facteurs représente donc un gros défi.
De façon plus large, il est vrai que la transition vers un secteur bioalimentaire durable et innovant repose en grande partie sur l’innovation technologique et agronomique. Mais l’angle social n’est pas à négliger. À témoin, la présence grandissante des fiducies d’utilités sociales agricoles, comme la Fiducie agricole UPA-Fondaction, est un bon exemple d’innovation « non technologique » favorisant, dans ce cas-ci, l’établissement dans le secteur agricole. L’élaboration, la promotion et la protection des systèmes alimentaires territorialisés, une thématique à laquelle l’Union collabore avec l’Université Laval, représentent un autre bon exemple d’innovation sociale.
Côté technologique, les productrices et producteurs ont maintenant accès à plusieurs applications et équipements performants (traite, drones, contrôle des eaux de nettoyage, de l’éclairage ou de l’arrosage, etc.). Le recours à plusieurs nouvelles technologies nécessite toutefois l’accès à un réseau électrique triphasé, à l’internet haute vitesse et à un réseau cellulaire performant. Le prix d’acquisition peut aussi représenter un enjeu, surtout lorsque le résultat est incertain. Mais plusieurs productrices et producteurs sondés par le Réseau d’expertise en innovation agricole ont invoqué le manque d’accompagnement, de soutien professionnel et de formation comme un frein majeur, une fois ces équipements et nouvelles technologies acquis.
Par ailleurs, toutes ces technologies récupèrent, accumulent et transmettent des données. Leur gouvernance est donc une question cruciale, au chapitre de leur utilisation tant par un tiers que par les productrices et producteurs. Où vont ces données? Leur collecte est-elle confidentielle et sécuritaire? Qui peut ou ne peut pas y avoir accès? Plusieurs questions se posent et les réponses ne sont pas toujours claires.
En novembre 2021, dans un Livre blanc sur la valorisation des données numériques dans le secteur bioalimentaire, plusieurs intervenants ont abordé l’importance de cet enjeu. L’Union a insisté, en amont de cet ouvrage, sur les notions de consentement et de disponibilité des données. Il faut très certainement explorer davantage cet aspect, même si, fondamentalement, l’humain demeurera toujours au cœur des activités agricoles, puisque les productrices et producteurs travaillent d’abord et avant tout avec du vivant.