Radio-Canada attirait récemment l’attention de ses auditeurs sur un rapport du ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques indiquant que les ventes de pesticides agricoles avaient atteint un niveau record au Québec. Le reportage insistait sur le fait que cette hausse allait à l’encontre de l’objectif énoncé dans la Stratégie phytosanitaire québécoise en agriculture 2011-2021 de réduire de 25 %, d’ici 2020, l’impact des risques associés à l’utilisation de ces produits.
Il est important de préciser que l’impact des risques ne se mesure pas uniquement par la quantité de pesticides vendus. Le Québec est la seule province au Canada à faire un suivi des ventes; l’Ontario a cessé de le faire. À l’échelle internationale, selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il semble y avoir consensus sur la difficulté de définir des indicateurs pertinents et disponibles permettant de mesurer l’impact des pesticides.
Le chroniqueur scientifique Jean-François Cliche (Le Soleil) indiquait d’ailleurs, en réaction au reportage de Radio-Canada, que le Québec n’avait pas nécessairement « perdu le contrôle » même si les ventes de pesticides ont augmenté et que l’indice de risque n’a pas diminué. Les règles au Québec sont les plus sévères au Canada : les producteurs utilisant des pesticides doivent suivre une formation, la gestion et l’entreposage à la ferme sont réglementés et les distributeurs sont aussi régis par la loi. On est donc loin de la « perte de contrôle » évoquée par Radio-Canada.
Le changement des pratiques agricoles explique l’utilisation accrue de certains produits comme le glyphosate (désherbant). L’augmentation des superficies cultivées en semis direct doit aussi être prise en considération. Cette pratique comporte plusieurs avantages agronomiques et environnementaux. Le travail minimum du sol réduit la compaction des sols ainsi que l’utilisation de carburant. En conservant les résidus de culture en surface, on favorise la rétention des nutriments tout en limitant l’érosion éolienne et hydrique. Cette pratique, promue par les clubs-conseils en agroenvironnement et par les environnementalistes, amène un plus grand usage de désherbants. Selon les statistiques des clubs-conseils, les superficies en semis direct sont passées de 8 % à 24 % chez leurs membres de 2004 à 2013.
Les cultures maraîchères, fruitières et céréalières font, quant à elles, face à de nouveaux ravageurs, en l’occurrence des insectes remontant le continent au gré du réchauffement climatique. Ce phénomène ne touche pas uniquement les villes aux prises avec l’agrile du frêne. Les périodes sans gel sont plus longues qu’auparavant, ce qui favorise également un nombre plus important de générations de ravageurs. Les conséquences sont réelles, car nous évoluons dans des marchés fortement concurrentiels. Pour réduire l’usage des herbicides et des pesticides, il faut des solutions de rechange économiquement viables.
Il est probablement possible d’abaisser les risques pour l’environnement et la santé. Mais cela ne pourra pas se faire sans investir dans la recherche, le transfert de connaissances et l’accompagnement professionnel des agriculteurs.
Des outils de dépistage sont nécessaires pour déterminer si une application est pertinente ou non. Le développement de nouvelles solutions nécessite d’investir aussi dans les services aux producteurs. N’oublions jamais qu’ils sont les seuls à prendre les décisions dans leurs fermes et à évaluer les risques associés à d’autres méthodes.
Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec investit à peine 3,2 M$ par année pour l’ensemble des mesures relatives à la gestion rationnelle des pesticides, déstructure le financement des clubs-conseils et diminue les sommes allouées au programme Prime-Vert. Le financement du Pôle d’excellence en lutte intégrée, en Montérégie, est quant à lui incertain d’une année à l’autre. Nos demandes répétées pour le renouvellement du Plan d’action concerté sur l’agroenvironnement et la cohabitation harmonieuse, en réel partenariat avec les producteurs, demeurent sans réponse.
Les producteurs ont été rapidement ciblés à la suite de ce reportage. Dans mes interventions publiques, j’ai insisté sur le fait qu’ils n’étaient pas les seuls responsables. Les producteurs agissent de bonne foi pour protéger leurs récoltes, améliorer leurs rendements et livrer un produit à la hauteur des standards du marché.
On peut bien se relancer la balle, accuser « les Monsanto de ce monde » d’être trop puissants ou proposer de bannir de façon unilatérale certains produits. Cela ne réglera rien. Les producteurs sont ouverts aux solutions de remplacement qui sont économiquement viables. Pour faire évoluer les mentalités, il faut impliquer les producteurs et les intervenants autour d’objectifs réalistes. C’est ce que je demande aux ministres de l’Agriculture Pierre Paradis et de l’Environnement David Heurtel.