La Fédération québécoise des municipalités (FQM) a demandé à ses membres d’adopter et de transmettre aux parlementaires une résolution critiquant sévèrement le projet de loi no 48, qui apporte des changements au Programme de crédit taxes foncières agricoles (PCTFA).
On trouve dans cette résolution des faussetés (et je pèse mes mots), notamment que le projet de loi favoriserait un « modèle d’agriculture industrielle » et contribuerait « à la dévitalisation des communautés agricoles ». C’est totalement démagogique.
Sans l’intervention du PCTFA, le coût des taxes foncières, à lui seul, rendrait impossible, dans plusieurs régions, la production rentable de céréales, de fourrage ou de légumes sur des terres dont c’est pourtant la vocation. Cela, en soi, révèle l’ampleur du problème.
Les producteurs, les investisseurs et les promoteurs immobiliers se disputent les quelques terres agricoles à vendre et toute la valeur des terres pour fin fiscale est fixée sur ces transactions.
Les terres sont devenues une valeur refuge. Il s’agit d’un phénomène mondial et cette valeur est complètement dissociée de leur rendement agroéconomique. Taxer les terres sur cette valeur spéculative, comme c’est le cas au Québec, est un non-sens.
D’autant plus que la majorité des terres agricoles transigées sont cédées aux générations suivantes par le biais de transferts d’actions ou de parts de société. Ces transactions, accompagnées de dons substantiels des cédants, se font nécessairement à des valeurs agronomiques. Toutes ces ventes ne sont pas captées par les évaluateurs et passent sous le radar. Le mode d’évaluation se limite donc aux transactions les plus élevées. La FQM reconnaît elle-même que la méthode actuelle d’évaluation des terres à des fins fiscales est à la source du problème. J’ai eu plusieurs discussions à ce sujet avec le président de la FQM, Jacques Demers. Pourtant, on ne retrouve aucune mention de cela dans sa résolution.
Le Québec est le seul endroit au monde qui n’a pas recours à un régime fiscal spécifique pour les terres agricoles. Ailleurs, on applique des taux distincts, les terres sont taxées en fonction de leur valeur agronomique, ou on ne perçoit tout simplement pas de taxes sur celles-ci. Chez nous, le gouvernement verse aux municipalités un montant correspondant au crédit de taxes applicable sur les terres selon un modèle d’évaluation imparfait, comme je l’expliquais plus haut. Les montants consacrés au PCTFA sont passés de 60 M$ (1999-2000) à 169 M$ (2019-2020) en raison de l’augmentation de la valeur des terres aux rôles d’évaluation. Les municipalités où cette valeur a le plus augmenté sont celles qui, naturellement, bénéficient le plus du programme, au point où elles en sont devenues dépendantes.
Le pacte fiscal qui lie le gouvernement aux municipalités ne tient pas compte des sommes qui leur sont versées par le biais du PCTFA. Toutes les municipalités du Québec bénéficient du pacte fiscal, mais toutes ne profitent pas équitablement des 169 M$ versés par le PCTFA. Les taux de taxation témoignent de ces écarts de traitement. Dans les régions périphériques (Abitibi, Bas-Saint-Laurent, Gaspésie, Lac-Saint-Jean, etc.), ce taux est largement au-dessus de 1 $ de taxes par 100 $ d’évaluation (voire 1,50 $), alors qu’il est en deçà de 0,60 $ dans plusieurs municipalités rurales de la Montérégie. La principale différence, c’est la valeur des terres et les revenus fiscaux qu’elles génèrent. Une vraie réforme de la taxation foncière agricole passe par un réaménagement du pacte fiscal.
Le ministre de l’Agriculture, André Lamontagne, a eu le courage d’introduire dans le projet de loi 48 le principe du plafonnement de la valeur imposable des terres agricoles. Le plafond d’imposition à 32 000 $ est trop élevé pour avoir un impact significatif maintenant, mais son action augmentera avec les années s’il n’est pas ou peu indexé. Les jalons sont posés. Nous demandons au gouvernement et à la commission parlementaire qui étudie le projet de loi de poursuivre le travail, mais de ne pas évacuer une réelle réforme de la taxation foncière agricole.
Éditorial La Terre de chez nous
Édition du 12 février 2020
Marcel Groleau, président général