Le gouvernement canadien a lancé, en décembre dernier, ses consultations prébudgétaires en vue du budget de 2024. Nous avons participé, l’été dernier, à celles du Comité permanent des finances de la Chambre des communes, mais il s’agit d’un exercice distinct piloté, cette fois-ci, par le ministère canadien des Finances.
Nos recommandations s’appuient toutefois sur les mêmes constats. L’endettement du secteur agricole canadien a presque doublé en une décennie (138,9 G$ en 2022), en raison notamment de l’augmentation du prix des terres et des investissements requis pour se conformer aux attentes sociétales. La hausse rapide et importante des taux d’intérêt (+5 % depuis 2022) exerce donc une pression grandissante sur les dépenses d’intérêts (environ 1,3 G$ par hausse de 1 %, soit 6,5 % du revenu net du secteur agricole canadien). Par ailleurs, les dépenses totales des exploitations agricoles ont augmenté de 19,9 % en 2022, la plus forte hausse depuis 1979 (+21,1 %).
Maximiser les liquidités des entreprises s’avère donc un enjeu déterminant pour assurer leur pérennité. C’est pourquoi nous avons recommandé une aide spéciale au secteur agricole, plus fortement capitalisé que d’autres secteurs économiques et donc plus à risque face à la flambée des taux. Le report des dates limites liées au Compte d’urgence pour les entreprises canadiennes aurait aussi représenté un pas dans la bonne direction. Le premier ministre Justin Trudeau a toutefois rejeté catégoriquement cette idée, estimant qu’il était temps de « passer à autre chose », près de quatre ans après le début de la pandémie.
Au chapitre de la résilience du secteur, nous avons aussi recommandé de fixer de manière permanente à 350 000 $ la limite des avances sans intérêt du Programme de paiements anticipés, de bonifier les programmes de gestion des risques (notamment le programme Agri-stabilité) et d’exclure toute concession touchant les produits sous gestion de l’offre dans les futures négociations commerciales (projet de loi C-282).
En ce qui concerne l’agroenvironnement, nous avons rappelé que les entreprises agricoles sont favorables à la mise en œuvre de pratiques encore plus durables. La plupart de ces pratiques entraînent toutefois des coûts importants pour les entreprises. Une incitation financière additionnelle est donc requise, comme l’ont démontré diverses initiatives comme le Fonds d’action à la ferme pour le climat, les laboratoires vivants et le Programme de paysages agricoles résilients.
Des investissements supplémentaires sont aussi nécessaires afin de respecter les cibles de la Stratégie pour une agriculture durable, qui touchent l’adaptation et la résilience, l’atténuation des changements climatiques, la biodiversité, l’eau et la santé des sols. Ces investissements devront toutefois être comparables à ceux de nos principaux compétiteurs internationaux. Rappelons que l’aide directe aux initiatives agroenvironnementales aux États-Unis (Conservation Programs) représente environ 0,8 % des recettes monétaires agricoles. Un montant annuel supérieur à 600 M$ devrait être accordé aux entreprises agricoles canadiennes pour obtenir un appui équivalent.
Toujours au chapitre de l’agroenvironnement, nous avons recommandé de modifier les critères d’admissibilité au Programme des technologies propres en agriculture afin de le rendre accessible aux plus petites entreprises. Nous avons aussi suggéré d’offrir au secteur biologique un programme de partage des coûts de certification, comme c’est le cas chez nos voisins du sud.
Nos autres recommandations ont porté sur le régime fiscal des entreprises agricoles et forestières (création d’un crédit d’impôt à l’investissement pour les fermes de petite taille, élimination du gain en capital imposable lors du don ou de la vente à faible coût de certains actifs agricoles à un neveu ou à une nièce, création d’un régime d’épargne et d’investissement sylvicole personnel pour les propriétaires forestiers canadiens).
La réponse du gouvernement canadien aux appels répétés du secteur agricole, compte tenu du contexte difficile, s’est avérée plutôt modeste ces dernières années. L’agriculture et la transformation des aliments et des boissons jouent pourtant un rôle crucial dans l’univers économique canadien (3,4 % du PIB, 573 100 emplois). Le budget 2024 est une occasion en or pour la ministre des Finances, Chrystia Freeland, de corriger le tir.