Dévoilé en février 2020, le rapport de la Commission de l’agriculture, des pêcheries, de l’énergie et des ressources naturelles (CAPERN) sur les pesticides contenait 32 recommandations sur une multitude de sujets, incluant l’incidence de ces produits sur la santé publique et l’environnement, leur traçabilité, les pratiques de remplacement innovantes, la compétitivité du secteur agroalimentaire, la prescription par des agronomes et l’indépendance de la recherche.
Très médiatisés, les audiences et le rapport ont fait l’objet d’une écoute très attentive du milieu. Les services-conseils offerts aux agriculteurs par les agronomes ont naturellement retenu l’attention de plusieurs intervenants. Comme le mentionne le rapport, un « agronome lié à l’industrie ne peut pas être en mesure de conseiller ses clients sans avoir un potentiel conflit d’intérêts, surtout dans les cas où il reçoit un incitatif de son employeur pour la vente de produits ». Les membres de la CAPERN recommandaient d’ailleurs un accès accru aux services-conseils donnés par des conseillers non liés. Ces deux volets de la profession agronomique sont en effet complémentaires et les producteurs doivent être en mesure de s’en prévaloir.
Au cours des prochaines semaines, plusieurs évalueront si la formulation retenue dans le projet de loi modifiant la Loi sur les agronomes, déposé ces derniers jours par le gouvernement du Québec, atteint véritablement cet objectif. La nécessité d’une réforme faisait largement consensus, mais des organisations comme l’Association des commerçants de grains du Québec, l’Association québécoise des industries de nutrition animale et céréalière, Les Couvoiriers du Québec, le Réseau végétal Québec et Sollio Groupe Coopératif y voient déjà un effet déstructurant sur l’agriculture québécoise. Le court délai de trois semaines pour soumettre des commentaires sur la proposition de champ d’exercice et d’actes réservés aux agronomes, l’automne dernier, est notamment pointé du doigt. Ces organisations ont tout à fait raison.
Ce qui est toutefois clair, net et sans équivoque, c’est que ni le rapport ni ses 32 recommandations ne suggèrent de quelque façon que ce soit une atteinte illégitime à la profession d’agriculteur. En précisant le champ d’exercice de la profession d’agronome ainsi que les activités professionnelles qui lui sont réservées tout en omettant de reconduire une précision importante de la législation actuelle, soit que ces dispositions ne s’appliquent pas aux actes posés par un agriculteur, le projet de loi est une attaque frontale qui sera vue très négativement par les principaux intéressés.
D’ici l’adoption d’un éventuel règlement reconduisant ou non cette exception, un agriculteur ne pourrait plus évaluer l’état de ses propres terres agricoles, analyser sa propre entreprise au moyen de critères technico-économiques, déterminer les besoins nutritionnels de ses propres animaux, opter pour des méthodes de traitement préventif ou de protection de ses propres cultures ou élevages, élaborer une intervention sur l’aménagement ou l’exploitation de ceux-ci ou préparer un programme d’amélioration génétique pour son propre troupeau. Autrement dit, les agriculteurs québécois devraient s’en remettre systématiquement à un agronome pour des décisions et des gestes inhérents à la pratique usuelle de leur métier.
Une telle approche est infantilisante pour les producteurs, qui s’attendent à des conseils agronomiques leur permettant de faire des choix éclairés, et non à une prise en charge exécutoire de leur autonomie. Elle fait aussi abstraction du fait que les producteurs et leur relève sont de plus en plus formés, académiquement et de façon continue, pour exercer leur métier de façon professionnelle. Les centres d’expertise misent depuis toujours sur le transfert des connaissances. Les agronomes sur le terrain disent eux-mêmes que l’autonomie croissante des producteurs doit être encouragée. Le projet de loi va à l’encontre de cette réalité et met à mal la liberté d’action des producteurs.
Comme l’ont indiqué les Producteurs de grains du Québec, « banaliser les efforts de formation des agriculteurs d’aujourd’hui et de demain est un très mauvais message » et constitue une faute « grave et lourde de conséquences pour le monde agricole ». Le gouvernement du Québec doit rapidement corriger le tir et apporter des changements à son projet de loi pour reconnaître les producteurs agricoles comme des professionnels de l’agriculture.