La pénurie de main-d’œuvre touche le milieu agricole depuis beaucoup plus longtemps que la grande majorité des autres secteurs économiques. Le Conseil canadien pour les ressources humaines en agriculture prévoit d’ailleurs que le secteur agricole canadien comptera environ 100 000 postes vacants d’ici 2030, en raison du départ à la retraite de près du tiers des travailleurs agricoles au pays.
Cette seule statistique suffit à illustrer l’importance stratégique des quelque 20 000 travailleurs étrangers temporaires (TET) qui viennent chaque année œuvrer dans les champs de la province. Elle explique aussi pourquoi nous demandons, depuis plusieurs années, un recours facilité à cette main-d’œuvre. Or, tout porte à croire que nous devrons continuer de marteler ce message.
En raison du nombre record de demandeurs d’asile, de la présence de membres de réseaux criminels au Canada et de la multiplication de faux documents de voyage, le gouvernement fédéral a récemment décidé de réimposer un visa pour les Mexicains qui souhaitent venir au Canada. Cette nouvelle exigence déstabilise grandement le secteur agricole, au moment même où la saison 2024 se pointe à l’horizon.
Le gouvernement canadien a aussi annoncé qu’il souhaite réduire la proportion de résidents temporaires au sein de la population canadienne d’ici 2027. Pour y arriver, il a notamment décidé que le pourcentage de la main-d’œuvre pouvant provenir du Programme des TET passera de 30 % à 20 % dès le 1er mai prochain, même si les TET ne représentent que 9 % des résidents temporaires au pays (comparativement à 42 % pour les étudiants étrangers et 44 % pour les travailleurs temporaires issus du Programme de mobilité internationale). Encore une fois et sans préavis, le secteur agricole fait les frais d’une problématique qui n’a rien à voir avec lui.
Au chapitre des juridictions partagées, le Québec est la seule province qui participe au processus de demande de TET en agriculture, ce qui alourdit grandement le processus administratif et le fardeau financier des employeurs et des travailleurs étrangers. Les employeurs québécois doivent actuellement remplir 17 pages de documents de plus que les autres provinces, et ce, pour chacune de 3 500 demandes de TET (59 500 pages).
Par ailleurs, comme je le mentionnais dans un récent éditorial, le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) a l’intention de multiplier prochainement le nombre de documents à déposer en passant d’un certificat d’acceptation du Québec (CAQ) générique à spécifique. Cela représente quelque 568 700 pages de plus à remplir pour les employeurs (demande de sélection temporaire et passeport [10 pages], contrat de travail [9,5 pages] et mandat de représentation [4 pages] pour chacun des 22 000 TET, en ajoutant 10 % pour tenir compte des changements en cours de processus), sans compter environ 6,6 M$ d’honoraires additionnels à débourser. Il s’agit, encore une fois, d’un cas unique au Canada d’alourdissement administratif et financier.
Ce même MIFI a aboli, en 2018, l’exemption agricole pour les frais d’examen de l’offre d’emploi pour les demandes de TET, ce qui entraîne depuis ce temps des frais de 222 $ par demande pour les employeurs agricoles (777 000 $ par année pour l’ensemble des employeurs).
Multiplier les embûches et les frais va à l’encontre de l’exercice en cours pour réduire le fardeau réglementaire et administratif des agricultrices et des agriculteurs québécois, annoncé récemment par le ministre André Lamontagne. La récente décision d’harmoniser la rémunération plancher des TET avec le taux des autres travailleurs québécois (salaire minimum) est un pas dans la bonne direction. Les productrices et producteurs, à qui on demande fréquemment d’être plus performants et efficaces, ont toutefois les mêmes attentes vis-à-vis des gouvernements. Il faudra donc d’autres gestes concrets pour que l’accès à cette main-d’œuvre soit à la hauteur des ambitions alimentaires du Québec et du Canada. L’heure est à la cohérence et à l’efficience.