L’Union des producteurs agricoles (UPA) a participé, le 28 janvier, aux consultations parlementaires sur le projet de loi no 86, Loi visant à assurer la pérennité du territoire agricole et sa vitalité. Rappelons que ce projet de loi fait suite à la Consultation nationale sur le territoire et les activités agricoles de 2023 et 2024. Il représente, selon le ministre André Lamontagne, « la plus importante révision de la Loi sur la protection du territoire agricole (LPTAA) depuis sa création en 1978 ».
Nous avons indiqué d’emblée que le projet de loi no 86 touche la cible à plusieurs égards. Pensons notamment à la création d’un registre des transactions et d’un mécanisme de contrôle de certaines transactions, au renforcement des pouvoirs de la Commission de protection du territoire agricole du Québec (CPTAQ) pour mieux déceler et sanctionner les infractions, ainsi qu’à l’autorisation de surtaxer les terres agricoles exploitables mais non exploitées.
Je fais aussi référence à l’augmentation des exigences et à l’amélioration de la qualité de planification régionale en fonction des nouvelles orientations gouvernementales en aménagement du territoire, à l’interdiction de construire une deuxième résidence sur les superficies bénéficiant de droits acquis, à l’annulation des utilisations non agricoles (UNA) qui ne sont pas mises en œuvre, ainsi qu’à une meilleure prise en compte, dans les critères d’analyse, du dynamisme du territoire agricole.
Le projet de loi propose aussi des dispositions qui permettront, selon les décisions du ministre, de diriger des ressources vers les fiducies d’utilité sociale agricoles. Dans ce cadre, il est impératif de soutenir financièrement les activités de la Fiducie agricole UPA-Fondaction, créée en 2020 afin d’apporter une solution à l’enjeu de la préservation des terres agricoles et de leur mise en valeur par les agriculteurs et agricultrices du Québec.
Certaines dispositions du projet de loi génèrent toutefois des hésitations et des questionnements, comme la permission à la CPTAQ de rendre des décisions favorables sans passer par une orientation préliminaire, l’élargissement des demandes à portée collective, l’introduction d’assouplissements additionnels pour les UNA agrotouristiques, touristiques et commerciales, ainsi que la permission (sans autorisation de la CPTAQ) de certaines UNA jugées « sans impacts ».
Des omissions préoccupantes sont aussi à signaler. À témoin, le projet de loi n’aborde pas la pression générée par l’implantation croissante de projets énergétiques en zone agricole. À défaut d’introduire un encadrement réglementaire adéquat, le gouvernement doit intervenir auprès d’Hydro-Québec afin d’assurer la conclusion d’une entente-cadre avec l’UPA, à l’instar de celle sur le passage de lignes de transport en milieux agricole et forestier.
De plus, le projet de loi ne restreint aucunement le recours aux décrets pour contourner la CPTAQ, n’encadre pas les pouvoirs municipaux applicables au territoire agricole et ne pose pas de gestes concrets pour mettre un terme à la prolifération des UNA (résidences, commerces, industries, gravières, sablières, mines, sources d’eau, aménagements municipaux, infrastructures routières, énergétiques ou de télécommunication, équipements institutionnels, etc.).
Cette dépossession sournoise de notre garde-manger, qui permet le détournement de précieux hectares agricoles vers d’autres vocations sans procéder à un « dézonage » (exclusion) en bonne et due forme, s’est chiffrée à plus de 61 000 hectares de 1998 à 2022 (inclusivement), l’équivalent d’environ 12 terrains de football [É.-U.] par jour pendant 25 ans!
Ces exclusions déguisées représentent une menace silencieuse, mais bien réelle, aux ambitions alimentaires des Québécoises et Québécois. Elles vont aussi à l’encontre des principaux constats de la commissaire au développement durable qui, dans son rapport d’avril 2024, concluait notamment que les interventions du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec sont insuffisantes pour protéger et mettre en valeur le territoire agricole.
L’exercice proposé par le gouvernement du Québec, depuis juin 2023, doit être vu comme une occasion historique d’élever la protection de notre garde-manger au rang de véritable priorité nationale. D’ailleurs, M. Lamontagne misait juste, en décembre dernier, en mentionnant que le projet de loi devait permettre de « préserver notre capacité à nourrir notre monde ». Avec les ajouts et correctifs appropriés, cet objectif est tout à fait à notre portée.