Selon le Groupe international d’experts sur les systèmes alimentaires durables (IPES-Food), le prix des terres agricoles aurait doublé à l’échelle mondiale ces 15 dernières années en raison, notamment, d’une montée spectaculaire des phénomènes de financiarisation et d’accaparement partout sur la planète.
IPES-Food rappelle que de nouveaux acteurs sont entrés en scène depuis les crises financière et alimentaire mondiales de 2007-2008 et utilisent depuis ce temps les terres agricoles comme un placement sûr. De 2005 à 2017, quelque 45 G$ US auraient été investis dans les terres agricoles par des fonds d’investissement, des fonds de pension et des compagnies d’assurance. En 2018, près de 45 % de toutes les acquisitions sur la planète (14,8 G$ US) auraient transité par de telles institutions.
Tous ces milliards de dollars s’expliqueraient par une explosion du nombre de fonds d’investissement agricoles au fil des ans (de 45 en 2005 à 523 en 2018). L’an dernier, environ 960 fonds de cette nature géraient des actifs de quelque 150 G$ US, dont 16,6 G$ US aux États-Unis.
À cette course effrénée vers des « valeurs refuges » s’est ajouté un phénomène plus récent, soit l’accaparement à des fins environnementales, qui a représenté ces dernières années environ 20 % des transactions foncières à grande échelle. Les projets miniers ont quant à eux représenté 14 % des transactions enregistrées au cours des dix dernières années.
Cette transformation des terres en actifs financiers n’est pas sans conséquence. Des régions du globe comme l’Europe centrale ont vu le prix de ses terres tripler depuis 2008. Entre 2002 et 2020, il aurait même quadruplé dans diverses régions fortement agricoles des États-Unis, comme l’Iowa. Et comme on le sait, la valeur des terres agricoles augmente systématiquement depuis trois décennies au Canada. Le Québec n’échappe évidemment pas à cette tendance (+13,3 % en 2023; +11 % en 2022; +10 % en 2021, selon Financement agricole Canada).
Cette flambée des prix change radicalement le portrait de nos campagnes. Le troisième et dernier volet de la consultation nationale sur le territoire et les activités agricoles, entièrement consacré à la propriété foncière agricole et à l’accès aux terres, a permis de constater que les superficies détenues par les exploitations agricoles exclusivement propriétaires sont à la baisse au Québec (38 % en 2007; 31 % en 2023), alors que celles possédées par des propriétaires « présumément » locateurs ont presque doublé (8 % en 2007; 15 % en 2023).
Faute d’information suffisante sur ces locateurs, il est très probable que cette catégorie soit en partie constituée de propriétaires « producteurs » au sens de la loi, mais dont l’activité principale est non agricole et strictement spéculative. Seule la création d’un registre détaillé sur la propriété du foncier agricole, incluant un mécanisme de suivi des transactions, permettrait de porter un jugement éclairé sur cette tendance. Interdire l’achat de terres agricoles par des sociétés d’investissement et des intervenants du secteur immobilier, à l’instar d’autres provinces canadiennes comme la Saskatchewan, serait aussi à considérer.
Les données ont aussi démontré que les superficies détenues par les 350 plus grands propriétaires ont augmenté de 50 % entre 2007 et 2023. Cette concentration croissante entre les mains d’un nombre restreint de propriétaires est fortement préoccupante. Rappelons qu’environ 70 % des terres agricoles sur la planète appartiennent à seulement 1 % des propriétaires. Ce n’est pas le cas au Québec, mais il faut éviter à tout prix de tendre vers cette réalité.
L’accès aux terres agricoles est un enjeu fondamental pour les agricultrices et les agriculteurs. Il l’est aussi pour les producteurs forestiers et les acériculteurs (y compris en terres publiques), la vitalité économique de nos régions et la sécurité alimentaire des Québécoises et des Québécois. Au terme de la consultation nationale, des mesures concrètes devront être mises en place pour protéger notre garde-manger en évitant son transfert à des intérêts spéculatifs et à un nombre restreint d’individus.