L’entreprise suédoise Northvolt a confirmé, le 28 septembre dernier, qu’elle avait choisi d’installer son usine de cellules de batteries à Saint-Basile-le-Grand et à McMasterville, en Montérégie. Le projet, financé en grande partie par des fonds publics (7,3 G$), a été présenté comme le plus important investissement privé de l’histoire du Québec. Jumelé aux autres projets annoncés précédemment, c’est maintenant plus de 8,5 G$ que les deux paliers de gouvernement ont investi dans cette nouvelle filière au Québec.
La filière batterie est fréquemment qualifiée de « secteur d’avenir » et comporte, on nous le répète souvent, plusieurs avantages sociétaux (décarbonation de l’économie, électrification des transports, etc.). Il est donc étonnant d’écarter volontairement une évaluation du projet par le Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE). Comme le disait ces derniers jours un environnementaliste bien en vue : « On ne demande qu’à être convaincus ».
D’ailleurs, le gouvernement du Québec aurait fait passer discrètement, en février dernier, de 50 000 à 60 000 tonnes la fabrication de cathodes requise pour déclencher un tel examen (la future usine en produira 56 000). Celles et ceux qui y voient plus qu’une coïncidence seront certainement d’avis qu’adopter un règlement « spécifique » pour éviter à un projet « spécifique » une évaluation du BAPE, c’est assurément une raison « spécifique » d’en tenir une.
Du côté agricole, la filière batterie démarre très mal sa lancée au Québec. La multiplication de projets éoliens dans le Centre-du-Québec, en Estrie et ailleurs dans la province, en réponse à l’appel d’offres d’Hydro-Québec, menace directement la zone agricole, comme en témoigne la vague de promoteurs actifs sur le terrain. Le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec prédit lui-même, dans le fascicule 2 de l’actuelle consultation nationale sur le territoire et les activités agricoles, une augmentation importante des incursions non agricoles en zone verte en raison de cette filière (méga-usines et entreprises, production et transport d’électricité, besoins en minéraux, etc.). La situation est donc préoccupante.
Soulignons par ailleurs que les superficies acquises par Northvolt (phase 1 du projet) sont ceinturées de terres agricoles, que des infrastructures additionnelles seront probablement requises et que le ministre Pierre Fitzgibbon a indiqué, à plusieurs reprises, que des enjeux de zonage pourraient se manifester dans une éventuelle phase 2. Quelque 70 hectares de terres agricoles seraient potentiellement visés, selon Radio-Canada.
Mentionnons aussi que la création de milliers d’emplois dans ce coin de pays entraînera un nombre important de nouveaux projets immobiliers, tous ces travailleurs et leurs familles devant nécessairement être logés (en pleine crise du logement). Ajoutons que de tels projets immobiliers entraînent systématiquement de nouveaux besoins (infrastructures, projets routiers, écoles, commerces, etc.). La zone agricole est donc doublement à risque.
Le premier ministre François Legault a indiqué que la filière batterie pourrait accueillir encore 15 G$ de nouveaux investissements d’ici un an. Or, nourrir les Québécoises et les Québécois est une priorité nationale, au même titre que les autres missions de l’État (incluant la décarbonation). À l’aube de la Journée mondiale de l’alimentation (16 octobre), environ 670 000 Québécoises et Québécois fréquentent chaque mois les banques alimentaires. Le milieu agricole pourrait certainement contribuer davantage à combattre cette problématique. Mais le soutien requis des deux paliers de gouvernement, comparativement aux 22,6 G$ US de la loi américaine sur l’inflation (2022) destinés au secteur agricole, n’est toutefois pas au rendez-vous.
Toutes proportions gardées, l’agriculture doit être soutenue avec la même vigueur que la filière batterie, en ce qui concerne tant la zone verte que les activités agricoles. D’autant plus qu’il est tout à fait possible de concilier le développement économique et l’urbanisation en évitant l’étalement en zone agricole. Il est donc impératif d’éviter une atteinte grave et irréversible au patrimoine alimentaire du Québec et de s’engager davantage à protéger le garde-manger des Québécoises et des Québécois. Les batteries, c’est bien, mais manger, c’est essentiel.