En réponse au plaidoyer soutenu des milliers d’entreprises agricoles en difficulté, le ministre de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec, André Lamontagne, a annoncé que les compensations (versées et à venir) destinées aux clients de La Financière agricole du Québec (FADQ) devraient atteindre 1 G$ pour l’année 2023, comparativement à 440 M$ en moyenne au cours des 10 dernières années. Cela témoigne, selon lui, d’un « soutien exceptionnel » pour une année « tout aussi exceptionnelle ».
Il ne faut surtout pas retenir de cette sortie que le soutien québécois est à la hauteur et que les programmes de la FADQ fonctionnent comme ils le devraient. Si Agriculture et Agroalimentaire Canada prévoit un effondrement du revenu net québécois en 2023 (-49,2 %) et en 2024 (-86,5 %) malgré les montants dévoilés par le ministre, c’est manifestement parce que ce n’est pas le cas. Cela démontre plutôt que les programmes sont mal adaptés aux nouvelles réalités économiques et climatiques.
Il en va de même pour la demande présentée au gouvernement canadien dans le cadre d’Agri-relance (programme d’aide en cas de catastrophe) à l’intention des producteurs horticoles et des producteurs de foin de l’Abitibi. La demande en soi, et la confirmation que le gouvernement québécois entend intervenir peu importe la réponse du fédéral, illustre de facto que des montants additionnels sont requis pour répondre aux besoins du milieu.
Incidemment, M. Lamontagne a tout à fait raison de présenter une telle demande au gouvernement canadien, qui est intervenu sans hésiter, l’automne dernier, en faveur des agriculteurs et des éleveurs de l’ouest du pays en raison des frais encourus par les sécheresses et les feux de forêt (219 M$).
Par ailleurs, les montants annoncés par le ministre ne tiennent pas compte de la contribution des productrices et producteurs aux divers programmes et de l’arrimage entre ces derniers. La somme réelle des compensations pour 2023 se situerait plutôt entre 550 M$ et 615 M$, selon la méthode d’analyse retenue.
Rappelons aussi qu’il s’agit du soutien total de la FADQ à ses quelque 23 000 clients, tous programmes (et productions) confondus, et non d’une aide spécifique à la « saison des récoltes hors norme » évoquée par M. Lamontagne. À ce sujet, et comme le déclarait récemment le directeur général de l’Association des producteurs maraîchers du Québec, Patrice Léger Bourgoin, « huit mois après [notre première sortie publique], on [le gouvernement] n’est pas foutu de dire si on [il] va nous aider ». La demande dans le cadre d’Agri-relance fait aussi foi des besoins non comblés dans ce secteur de production.
Plus fondamentalement, les centaines d’agricultrices et d’agriculteurs qui ont manifesté leurs inquiétudes ces dernières semaines à Rimouski, à La Malbaie et à Baie-Comeau ne se sont pas déplacés parce qu’ils considèrent que les gouvernements se sont acquittés convenablement de leurs responsabilités. On aurait tort de penser que des productrices et des producteurs ont parcouru des centaines de kilomètres en tracteur parce que le soutien gouvernemental est à leur pleine et entière satisfaction. Il en va de même pour l’initiative #maistoutvabien de la Fédération de la relève agricole du Québec. Mettre en doute leur perception de la réalité, quelques jours après un discours sur le budget particulièrement décevant pour le milieu agricole, n’est pas de nature à calmer les esprits, bien au contraire.
Cela étant, le gouvernement du Québec aurait tort de se cantonner dans une attitude défensive. Personne ne pointe du doigt qui que ce soit. Les appels répétés du secteur agricole ont d’ailleurs mené à un certain nombre d’ajustements aux programmes existants ainsi qu’à diverses mesures dites « d’urgence ». Ce que les productrices et producteurs disent, c’est qu’il faut élever d’un cran cette réponse tout à fait méritoire à leurs attentes légitimes.
Au bout du compte, se lancer dans une guerre de chiffres n’aide en rien les productrices et producteurs agricoles en difficulté. L’heure est plutôt à des interventions musclées face à l’endettement croissant des entreprises, la nécessaire adaptation des programmes de gestion des risques, le soutien insuffisant à la relève, la surenchère réglementaire et le fardeau administratif. Et ces objectifs prioritaires supposent beaucoup plus que 0,95 % du budget de l’État (2024-2025).